Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.6. ESPAGNE
2.6.2. RELATIONS POLITIQUES
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 247
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#527* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 260 | |
Dossier title | Madrid, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 11 (1942–1942) |
dodis.ch/47433
A mon retour à Madrid, j’ai trouvé une atmosphère tout à fait calme et j’ai constaté que le silence et l’oubli avaient déjà recouvert la chute du Ministre Serrano Suner2 qui était pourtant considéré comme le principal collaborateur politique du Caudillo. Le départ de celui qui pendant deux ans dirigea la politique extérieure de l’Espagne comme homme de l’Axe et chef de la Phalange trouve son explication dans la tension entre l’Armée et la Phalange qui n’est autre qu’une manifestation de plus du conflit historique entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire qui a déjà divisé l’Espagne pendant tout le dix-neuvième siècle. La cause immédiate de son élimination doit être trouvée dans l’attentat3 de Begonia près de Bilbao, où des Phalangistes lancèrent des grenades à main contre les autorités au moment où celles-ci sortaient d’une cérémonie funèbre organisée par les Traditionalistes à la mémoire des Réquétés tombés pendant la guerre civile. Le sous-secrétaire de la Phalange Luna ayant consulté M. Serrano Suner pour obtenir l’autorisation d’organiser la contremanifestation phalangiste qui dégénéra en attentat homicide, il était tout naturel que ces deux hauts dirigeants de la Phalange dussent disparaître de leur poste. Six Phalangistes furent condamnés à mort, mais un seul fut fusillé, le Caudillo ayant accordé la grâce aux cinq autres. Cette mesure de clémence fit l’objet d’une vive protestation du Général Varela, Ministre de la Guerre, qui avait échappé à l’attentat et qui reprocha au Général Franco de vouloir couvrir la responsabilité morale du sous-secrétaire Luna et du Ministre Serrano Suner. En présence de cette opposition, le Général Franco invita son beau-frère à résigner ses fonctions de chef de la Phalange tout en lui offrant de rester à la tête du Ministère des Affaires étrangères. Mais ce dernier ne put accepter cette solution et afin d’éviter d’autre part que l’agitation ne s’étendît en province en provoquant des nouveaux incidents à Bilbao, à Pampelune et Valladolid, le Caudillo estima devoir remplacer M. Serrano Suner par le Comte Jordana pour diriger les affaires étrangères. La désignation du Comte Jordana, qui est le doyen des généraux de l’Armée et qui s’est toujours révélé un fidèle et loyal exécuteur des ordres du Général Franco, doit être interprétée dans le sens que le changement ministériel provoqué par des motifs de politique intérieure n’entraînera pas de changement sensible dans la politique extérieure de l’Espagne et que le Caudillo poursuivra par tous les moyens la tâche de réaliser la collaboration entre l’Armée et la Phalange. On ne saurait cependant passer sous silence le fait que M. Serrano Suner était entièrement acquis à la cause de l’Axe et qu’il avait fait plusieurs voyages brillants à Berlin et Rome. On ne saurait en dire autant de son successeur qui doit se sentir les coudées franches pour maintenir une balance moins inégale envers les belligérants. Il y a lieu cependant de rappeler ici que le Général Jordana a signé le pacte anticomminterne4[sic] comme vice-président du Conseil, alors que le Conseil avait décidé de ne pas signer cet acte.
La désignation du Général Asensio comme Ministre de la Guerre, phalangiste convaincu, de même que celle du professeur Bias Perez Gonzalez comme Ministre de l’Intérieur, officier de l’Armée également, celle enfin du Commandant Mora Figueroa pour remplacer le vice-secrétaire de la Phalange Luna, phalangiste militant également et officier, ancien combattant et volontaire de la Division bleue5, témoignent bien de la volonté du Caudillo d’identifier la Phalange avec l’Armée et c’est pour mieux réaliser cette assimilation que le Général Franco élimina les deux antagonistes les plus marquants de la Phalange et de l’Armée, soit M, Serrano Suner et le Général Varela. L’éloignement de M. Serrano Suner de la présidence de la Junte politique semblerait avoir été également provoqué par l’hostilité d’une partie de la Phalange qui voyait avec mécontentement que tous les éléments phalangistes appelés à collaborer avec le régime étaient mis à l’écart au bout de peu de temps, tels que Gonzales Bueno, Fernandez Cuesta, Sanchez Mazas, Gamero, Tovar, Alfaro, JimenezArnau. Serrano Suner avait également contre lui les vieux généraux qui voulaient une dictature militaire et accusaient la Phalange d’être le refuge d’éléments subversifs. La chute de Serrano Suner a d’ailleurs été accueillie avec satisfaction presque par toute l’opinion publique. On dit qu’il se retirera de la politique tandis qu’on cite son nom parmi les candidats au poste d’ambassadeur en Amérique ou même de président des Cortés récemment constituées6. Il est cependant des voix pour affirmer que Serrano Suner a été le seul politicien espagnol qui ait eu une conception «stratégique» de la politique, mais qu’il a eu peu de chance dans la tactique où d’autres l’ont surpassé.
En résumé, l’attentat de Begonia a été l’occasion de la crise gouvernementale que le Caudillo a dénouée en instituant la collaboration d’éléments civils et d’éléments militaires, pour gouverner l’Etat afin d’éviter la répétition des violentes réactions populaires qui, dans d’autres occasions, avaient mis fin à l’hégémonie sans contrôle de l’Armée dans la politique espagnole.
La déclaration du nouveau Gouvernement réaffirme la lutte sans merci contre toute tentative communiste et sa fidélité aux mêmes principes adoptés durant les six dernières années, ce qui rend superflue toute allusion directe au conflit et à la déclaration officielle de non belligérance. Quant à l’adresse de sympathie à l’égard du Portugal, elle est justifiée par la solidarité ibérique proclamée par convention et cette mention fait penser à la déclaration si chaleureuse que M. Salazar adressa au Brésil lorsque ce pays entra en guerre contre les puissances de l’Axe7, déclaration qui certes ne dut pas non plus consolider la situation de M. Serrano Suner.
Tandis que le nouveau Gouvernement s’est remis à la tâche, il devra mettre à exécution la loi qui a recréé les Cortés. Il faudrait procéder à la nomination des députés appelés «procureurs» et convoquer la première assemblée où figurera le Gouvernement, mais comme l’on pense que le Caudillo ne voudra pas prendre part aux débats, on admet l’éventualité de la nomination d’un nouveau président du conseil qui pourrait bien être le Général Jordana qui en fut déjà vice-président antérieurement.
[...]8
Les Monarchistes ont lancé dernièrement un manifeste clandestin dans lequel ils contestent la légitimité juridique du pouvoir du Caudillo comme Chef d’Etat. La «communion traditionaliste»9 en a fait autant pour combattre la renaissance des Cortés et pour préconiser la régence comme solution transitoire pour résoudre les problèmes de la pacification et de l’organisation du pays sans compromis de personnes ni de dynasties. La circulaire dément que la «communion traditionaliste» ait déjà accepté la candidature de Don Juan et affirme au contraire que si ce dernier tentait de réaliser une restauration qui ne réponde pas aux exigences traditionalistes, il devrait compter aussitôt avec l’opposition de la «communion». Celle-ci a également fait circuler un texte réaffirmant sa position antibritannique et repoussant les accusations d’anglophilie. La «communion» réitère son ancienne solidarité avec les Empires centraux, défenseurs de la civilisation chrétienne, et réaffirme vigoureusement son attitude contre le communisme soviétique et ses alliés.
Quant aux chances d’une régence qui pourrait être assumée par le Général Franco, il semble que son prestige ait bien diminué. A la victoire, le Caudillo aurait recueilli cent pour cent des voix, il n’est pas sûr qu’il en obtiendrait trente aujourd’hui10. Si l’Angleterre était victorieuse, son régime disparaîtrait. C’est pourquoi la restauration pourrait être un refuge ou une échappatoire pour ce régime, mais Don Juan paraît prudent et avisé et n’est nullement pressé de remonter sur un trône chancelant. Il veut sans doute voir comment finira la guerre et qui sera victorieux. En Espagne, on s’efforce de soutenir que militairement les Anglais ont perdu la guerre mais que psychologiquement, ils pourraient la gagner par un collapse intérieur en Europe. On y affecte de ne pas croire sérieusement à la réalisation d’un second front, surtout depuis l’échec de Dieppe11. Cependant les Espagnols ont fortifié la côte de Vigo à Pontevedra sur l’instance des Allemands et avec des armes fournies par eux. [...]12
M. Myron Taylor qui a été reçu à Madrid par le Général Jordana et le Nonce Apostolique, n’a fait aucune déclaration qui parvint à la publicité. On pense que sa visite au Vatican a eu pour principal objet de s’occuper de la situation des juifs en France. Je me réserve toutefois de revenir sur ce sujet. J’apprends cependant que le Général Franco s’est entretenu avec M. Myron Taylor au cours d’une réception improvisée. Mon informateur admet que l’envoyé du Président Roosevelt au cours de cette tournée en Europe n’envisage nullement la conclusion de la paix, mais uniquement la reconstruction des Etats après la paix.
Le Gouvernement espagnol continue à réprimer rétroactivement la francmaçonnerie13. Nous nous occupons de la défense de quelques compatriotes14 poursuivis par un tribunal spécial dont le président - il est plaisant de le relever - est le Duc deSéville de la famille Bourbon15, dont le grand-père le Duc d’Orléans qui fut tué en duel par le Duc de Montpensier, était le grandmaître de la franc-maçonnerie en Espagne16.
- 1
- E 2200 Madrid/11. Paraphe: RP.↩
- 2
- Le 3 septembre, le Général Franco a procédé à plusieurs changements dans son gouvernement: R. Serrano Suiïer a cédé la direction des affaires étrangères au Général F. Gomez Jordana.↩
- 3
- Du 15 août 1942. Cf. notamment le rapport politique du Ministre Broyé du 21 août, non reproduit.↩
- 4
- Le 27 mars 1939.↩
- 5
- Créée à la fin juin 1941, immédiatement après l’attaque du Reich contre l’Union soviétique. Dans son rapport politique du 8 juillet 1941, le Ministre Broyé relate le départ pour le front russe des premiers contingents de la «Division Azul» (E 2200Madrid/10).↩
- 6
- Par la loi fondamentale du 17 juillet. Cependant, elles ne seront inaugurées que le 17 mars 1943. Cf. le rapport politique du ministre Broyé du 23 mars 1943 (E 2200Madrid/12).↩
- 7
- En août 1942.↩
- 8
- Selon les informations recueillies par le Ministre de Suisse, un important mouvement diplomatique est en voie de préparation en Espagne.↩
- 9
- Dénomination traditionnelle du carlisme. En avril 1937, Franco avait obligé l’organisation carliste à fusionner avec la Phalange pour former la Falange Espanola Traditionalista y de las JONS (FET), mais une minorité des carlistes avait voulu garder son autonomie.↩
- 10
- E. Broyé a rajouté dans la marge: Selon une source des plus clairvoyantes.↩
- 11
- Le 19 août: tentative de débarquement d’unités anglo-canadiennes.↩
- 12
- Le Ministre de Suisse donne des informations qu’il a obtenues sur les plans économiques du Reich en Ukraine.↩
- 13
- Tout particulièrement depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er mars 1940 sur la répression de la maçonnerie et du communisme, qui a créé un Tribunal spécial chargé de cette répression.↩
- 14
- Cf. à ce propos la notice préparée pour le Conseiller fédéral Pilet- Golaz par J. - F. Wagnière, et datée du 16 mars 1943: Condamnations de Suisses en Espagne La loi espagnole du 1er mars 1940 sur la franc-maçonnerie impose à tous ceux qui ont été maçons une déclaration de rétractation à faire dans le délai de deux mois, sans quoi ils doivent être condamnés à douze ans et un jour de prison au minimum. Ces dispositions ont été appliquées ou sont en voie de l’être à plusieurs compatriotes: M. Charles Lier, né en 1900, technicien-dentiste à Barcelone, a été condamné en octobre 1942 à 12 ans et 1 jour de prison et se trouve actuellement incarcéré à Burgos. Un recours en cassation a été introduit, que notre Légation cherche à appuyer. M. Rodolphe Hartmann, ingénieur à Barcelone, a été incarcéré dans l’attente de son jugement. M. « AdolfGrozembach» a été condamné par défaut à 20 ans de prison. Il s’agit vraisemblablement de M. Adolf Gonzenbach, actuellement Chargé d’Affaires de Suisse à Caracas, ancien Consul de Suisse à Barcelone et ancien Chargé d’Affaires de Suisse auprès du Gouvernement républicain espagnol. M. Paul-Emile Roulet, ancien Directeur de la Fabrique Suchard à St-Sébastien et ancien Agent consulaire de Suisse dans cette ville, a été condamné en janvier 1943 par défaut à 12 ans et 1 jour. M. Gaspard Trumpy, actuellement en Suisse, propriétaire d’une importante entreprise à Madrid, se trouve l’objet de poursuites qui pourraient le conduire à une condamnation pécuniaire pouvant le ruiner. M. Robert Matter, commerçant à Barcelone (affaire en voie d’arrangement, grâce à son beau-père italien, Directeur de l’agence Stefani à Madrid). M. Max Kissling, employé à Barcelone, encore en liberté. Dans un rapport en date du 8 janvier, la Légation exposait avoir eu divers entretiens qui laissaient de sérieux espoirs d’éviter pour les Suisses les peines de prison. En revanche, il serait plus difficile de les faire échapper à une condamnation pécuniaire ou à l’expulsion, ce qui entraînerait la ruine de MM, Lier, Matter et Kissling. La Légation a obtenu une intervention personnelle du Ministre des Affaires étrangères auprès du Président du Tribunal spécial. Malheureusement, un rapport du 11 février exposait que toute la presse espagnole avait déclenché une nouvelle campagne véhémente contre la maçonnerie. Cette circonstance n’était pas favorable à une action trop pressante de la Légation, qui ne perd pas tout espoir d’obtenir la libération de Lier et de Hartmann et la suppression des autres procédures visant des citoyens suisses. Nous encourageons vivement la Légation de Suisse en relevant que si ces condamnations choquantes étaient connues en Suisse, elles ne manqueraient pas de produire de vives réactions dans l’opinion (E 2001 (D) 3/148). Sur les poursuites et condamnations dont sont victimes les francs-maçons suisses en Espagne, cf. aussi E 2200Madrid/261.↩
- 15
- Le Général F. de Bourbon, duc de Séville, n’est que membre du Tribunal spécial, qui est présidé par le Général A. Saliquet. Dans une lettre du 8 janvier 1942 au DPF, où il expose les résultats de ses interventions en faveur des francs-maçons suisses poursuivis par le Tribunal spécial, le Ministre Broyé écrit qu’il entretient de très bonnes relations avec le duc de Séville(E 2200Madrid/261).↩
- 16
- En 1870, Henri de Bourbon, duc de Séville et prétendant au trône d’Espagne après le départ de la reine Isabelle II, fut tué en duel près de Madrid par le duc de Montpensier, 5e fils du roi Louis-Philippe, et également prétendant au trône d’Espagne.↩
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