Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.11. GRÈCE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 201
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#34* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 20 | |
Dossier title | Athen, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 3 (1932–1943) |
dodis.ch/47387
Comme M. de Haller vous parlera certainement de toute l’activité que vient de déployer ici le Dr Junod et des résultats de sa mission2, je n’entrerai pas dans des détails inutiles à ce sujet et je me bornerai à rappeler que le but principal du voyage de notre compatriote était d’obtenir des plénipotentiaires allemand et italien une déclaration certifiant que la population grecque recevra intégralement non seulement tous les envois d’Amérique et du Canada, mais aussi toute la production agricole interne du pays.
Les anglo-saxons considèrent, en effet, très justement, que ce serait aider indirectement les Puissances de l’Axe que de nourrir eux-mêmes la population grecque en permettant l’exportation des diverses récoltes de quelque nature qu’elles soient.
Les autres problèmes que poseront les envois d’Amérique, qui sont de nature pratique, soit de trouver des marchandises, de les transporter et de les payer n’offrent pas les mêmes difficultés. En effet, le transport est garanti par le tonnage suédois, le ravitaillement est assuré par les deux Amériques et le Canada et, enfin la Croix-Rouge internationale dispose des devises nécessaires pour les paiements; d’ailleurs beaucoup de produits seront offerts gratuitement par les richissimes colonies grecques d’outre-mer.
Quant à la situation ici, elle est meilleure, mais cette amélioration n’est que provisoire, puisque tout le problème du ravitaillement se posera de nouveau avec la même acuité en septembre, les réserves prévues devant s’épuiser à cette époque-là.
L’organisation des soupes populaires laisse aussi beaucoup à désirer depuis le départ de M. Brunei, délégué CICR, et l’emprisonnement de M. Zannas. Nous avons heureusement M. Gredinger, qui rend au Comité d’excellents services par son zèle et son dévouement inépuisables. L’incident provoqué par son malheureux télégramme à Genève à la suite de l’arrestation Zannas, qui avait mal disposé les autorités italiennes à son égard, est heureusement oublié maintenant. J’ai pu le constater moi-même hier soir à un dîner qui nous fut offert par le Ministre grec des Finances (!). J’ai vu, en effet, que M. Arno, délégué de la Croix-Rouge italienne, lui parlait très amicalement et j’ai moi-même dit quelques mots à son sujet à ce dernier, qui m’a déclaré que si M. Gredinger n’était pas un diplomate, par contre sa bonne foi, sa bonne volonté et ses capacités de travail sont si remarquables qu’il mérite la situation qu’il occupe. Il vous intéressera d’apprendre qu’à la fin de ce repas, le Ministre des Finances m’a prié d’exprimer au Gouvernement suisse au nom du sien, sa plus vive reconnaissance de tout ce que nous faisons pour venir en aide à la Grèce.
Quant à l’attitude des autorités d’occupation vis-à-vis des diplomates, elle est très différente. Malgré leur parfaite courtoisie, les Italiens nous laissent comprendre qu’ils ne voient pas très bien à quoi peuvent servir les légations ici, puisqu’il n’y a pas de Gouvernement réel.
Les Allemands, au contraire, nous considèrent comme ayant toujours la même situation car, tandis que pour eux la Grèce n’est qu’un territoire stratégique important à conserver durant la guerre, les Italiens voudraient imposer définitivement leur protectorat à ce pays.
La population paraît assez indifférente aux autorités d’occupation. Elle a trop souffert pour pouvoir réagir et d’ailleurs les troupes allemandes et italiennes se conduisent en général correctement. Et même, les soldats italiens donnent souvent de leur propre nourriture aux affamés; en outre, les autorités royales font maintenant ce qu’elles peuvent pour venir en aide au peuple.
C’est principalement dans la classe élevée grecque que l’on trouve une haine profonde pour l’envahisseur, surtout pour l’Allemand que l’on accuse ici d’avoir tout emporté. Cependant cette haine et cette amertume sont également très vives chez certains Grecs vis-à-vis de la Grande-Bretagne: l’un d’eux, fort connu ici, m’a fait ces déclarations assez surprenantes au premier abord, mais au fond très compréhensibles: «Il n’y a pas un pays que je déteste autant que l’Angleterre car elle nous a lâchement abandonnés et car son aide après nous avoir promis monts et merveilles s’est bornée à l’envoi de 40000 hommes et d’une trentaine d’avions.
Je désire cependant sa victoire avec passion parce qu’elle défend des principes de liberté et une conception de l’existence qui ont toujours été notre idéal.»
Quant au peuple, qui ne sait pas raisonner de cette manière, mais qui s’en tient à ce qu’il voit, il voudrait une Grande-Bretagne victorieuse en remarquant les effets désastreux de l’occupation, alors que l’argent coulait à flots quand les Anglais étaient ici...
J’ai pu constater, d’autre part, à mon grand étonnement, que les deux polices italienne et allemande ne se préoccupent pas du tout des communistes qui foisonnent dans toute la Grèce et qui attendent leur heure.
Elles ne songent qu’à découvrir les quelques soldats anglais cachés encore ici et à prononcer des condamnations très sévères contre les malheureux Grecs qui les hébergeaient, et qui sont naturellement accusés aussi d’espionnage. C’est ainsi que dernièrement deux frères, fils uniques d’une veuve, et une femme et son fils qui s’était enrôlé dans l’armée anglaise et qui portait donc l’uniforme anglais, furent condamnés à mort.
A la demande de l’avocat de ce soldat, j’ai fait une démarche officieuse en faveur de ce dernier qui fut gracié, ainsi d’ailleurs que la plupart des autres condamnés. Il est vrai qu’ils avaient été jugés par le tribunal militaire italien qui est plus apte à la pitié que le tribunal militaire allemand qui exécute les sentences avant qu’on ait le temps d’intervenir.
Beaucoup de Grecs en vue ont été arrêtés ces temps-ci, toujours pour les mêmes raisons, mais heureusement que le nouveau directeur italien de la prison est très humain et fait ce qu’il peut pour adoucir le sort de ses hôtes...
Ce qui est également étrange, c’est de voir les Grecs, même des classes élevées, désirer ardemment la victoire russe, alors qu’ils ne se rendent pas compte que dans ce cas la réaction communiste éclaterait ici dans toute son horreur dès le départ des troupes d’occupation.
D’ailleurs, même si cette éventualité ne se présente pas, il est certain que lorsque la Grèce se verra libérée, elle passera encore par d’affreuses convulsions internes, car tous les partis politiques se disputeront de nouveau le pouvoir: les royalistes, les libéraux, qu’on appelle encore vénizélistes, et les démocrates demeurent toujours acharnés les uns contre les autres.
Mais à mon avis c’est le péril communiste qui est le plus à redouter et l’on ne peut s’empêcher de plaindre profondément la Grèce qui après avoir rayonné d’une gloire si éclatante et si pure n’a connu, après la domination turque, qu’un siècle de liberté, endeuillé cependant par tant de guerres et tant de révolutions et qui, lorsqu’elle retrouvera son indépendance, aura encore à souffrir infiniment.
Le sort de ce pays si admirable rappelle hélas celui de certains êtres trop beaux poursuivis par l’adversité et qu’une vieille légende du Péloponèse explique en assurant que le malheur et la beauté sont nés à la même heure...
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