Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.14. ITALIE
2.14.2. RELATIONS POLITIQUES
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 42
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#917* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 401 | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 41 (1941–1941) |
dodis.ch/47228
Lors des entretiens que j’ai eu le privilège d’avoir avec vous récemment à Berne, je vous ai fait part, entre autres, des avis exprimés par une série d’hommes politiques italiens qui, tout en invoquant leur amitié pour notre Pays, avaient exprimé une certaine préoccupation à notre égard. Au nombre de ces politiciens italiens s’ajoute maintenant le Comte Volpi qui, dit-il, a recueilli quelques signes d’alarme dénotant que l’incompréhension pour la Suisse est encore, malgré les efforts des Autorités fédérales dans tous les domaines, assez considérable.
A l’occasion d’un déjeuner que nous avons offert, ces derniers jours, à l’Ambassadeur d’Espagne près le Saint-Siège et auquel assistait le Comte Volpi, ce dernier, obéissant sans doute inconsciemment à la propagande délétère qui s’est exercée à nos dépens, a même voulu nous donner des conseils absolument irréalisables. J’ai cru avoir réussi, en partie du moins, à le convaincre de l’absurdité de certaines thèses qui ont encore cours ici et vis-à-vis desquelles il faut réagir constamment.
M. Volpi, qui, comme vous le savez, a des contacts occasionnels avec l’Allemagne et qui préside, entre autres, l’Association italo-germanique, a voulu d’abord insister, comme tant d’autres, sur la situation «tragique et dangereuse de la Suisse», se trouvant au milieu des deux grandes Puissances de l’Axe. Ce slogan n’est pas nouveau et nous ne devons surtout pas nous laisser impressionner en l’entendant répéter.
D’après mon interlocuteur, il faudrait «mettre à profit les quelques mois de répit que peut laisser l’évolution de la situation en Europe» pour, comme il dit, «sauter le fossé» en nous rapprochant de l’Axe. C’était évidemment une formule qu’il avait entendue quelque part, mais dont je n’ai pas pu découvrir l’origine précise.
Je lui ai naturellement longtemps parlé de l’odieuse campagne de presse, aussi injuste pour nous que nuisible aux intérêts véritables de l’Italie, que l’on avait déclenchée contre nous dernièrement2. Chose curieuse, M. Volpi a voulu admettre tout de suite qu’il ne parlait pas de la presse, en reconnaissant ainsi, comme avant lui M. Suvich, qu’il y avait là des exagérations visibles du côté italien, sans qu’il ait toutefois admis expressément qu’il s’était agi d’un prétexte. Il a voulu se limiter à répéter que Hitler et Mussolini, estimant que le continent était maintenant définitivement «libéré de l’influence anglaise», voudraient faire des efforts pour «organiser le continent» (nous trouvons toujours les mêmes formules vagues et, en demandant des précisions, on n’aboutit qu’à découvrir une copie détériorée, avec l’élimination de l’influence des petits Etats, de certaines méthodes de travail préconisées par la S.d.N.). A ce moment, voulait-il dire d’abord, la Suisse devrait absolument prendre des décisions qu’il ne savait lui-même pas préciser, mais qui iraient, dans sa pensée, jusqu’y compris la signature du Pacte tripartite3. A ce propos, il disait même le mot significatif que voici: «Croyez-moi, à l’homme d’affaires que je suis, qu’il faut quelquefois signer certains papiers» (il n’a pas ajouté «quitte à ne pas les tenir»). Je n’ai évidemment pas eu de peine à écarter comme absurdes des suggestions de ce genre et en lui rappelant que toute l’histoire de notre pays, fondée sur la neutralité, interdisait des tours de valse. J’ai cité le mot que Mussolini m’avait dit en 1937: «La neutralità è la Vostra ragione di essere»4.
M. Volpi, au bout d’une longue conversation qui n’était pas inutile, a reconnu que personnellement il était absolument convaincu de la nécessité de l’existence d’une Suisse libre, autonome et forte. Il a été particulièrement accessible à l’argument qui a déjà agi sur M. Riccardi, Ministre des Echanges et Devises, que même dans un futur monde, qui serait organisé sur la base d’unions économiques continentales, il devrait y avoir en Europe un pays pouvant, grâce à son ancienne tradition, constituer un point de liaison entre l’Europe et d’autres continents, dans tous les domaines, de celui du clearing, bancaire, jusqu’au domaine humanitaire et, dans une certaine mesure, de l’administration technique internationale: à ce propos, je voudrais vous dire que tout récemment encore, M. Riccardi a manifesté l’idée que la Suisse devrait être, dans l’avenir, le «centro valutario internazionale». Cela n’empêche pas que, voyant parfaitement notre point de vue et le partageant personnellement, M. Volpi a répété qu’en ce moment, «personne ne comptait en Europe sauf Hitler et Mussolini» et que même les convictions de certains membres de leur entourage n’auraient qu’un poids relatif.
Je ne voudrais évidemment pas attacher une importance excessive à ce qu’a dit le grand homme d’affaires italien, qui est très désireux de garder des contacts dans tous les pays et dans tous les continents. Mais ce qu’il m’a dit est évidemment symptomatique pour ce qu’on répète dans beaucoup de milieux. Fort heureusement, les déclarations récentes de M. le Président de la Confédération à la Foire de Bâle5 donnent un point d’appui sûr auquel nous pouvons constamment nous référer et dont l’argumentation est irréfutable.
Je me demande si, dans cet ordre d’idées et pour appuyer ce que nous ne cessons de dire, il n’y aurait pas avantage à ce que le service d’informations, créé l’année dernière pour agir, dans les limites encore existantes, sur la presse étrangère6, n’insisterait pas utilement, dans le prochain bulletin, sur le rôle permanent de la Suisse, qui est indépendant de tout essai d’organisations internationales, qui est le corollaire de chacune de ces tentatives et dont la nécessité serait encore accrue dans un monde basé sur différentes organisations économiques continentales - à supposer que ces projets puissent jamais se réaliser.
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