Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.19 ROUMANIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 20
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#7286* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 403 | |
Dossier title | Schutz der Schweizer in Bessarabien (1941–1945) | |
File reference archive | B.51.330.1 • Additional component: Rumänien |
dodis.ch/47206
En me référant à votre dépêche du 7 de ce mois2,
j’ai l’honneur de porter à votre connaissance ce qui suit:
Nos compatriotes réfugiés de Bessarabie3 me causent de graves soucis.
Comme vous le savez par mes précédents rapports, quelques-uns d’entre eux ont regagné la Suisse dans le courant de l’année dernière. D’autres se sont joints aux «Volksdeutsche» dont les autorités du Reich ont organisé le «rapatriement» (parmi eux, il y en a quelques-uns qui ne peuvent même pas être considérés comme de langue allemande). Enfin, un groupe d’une vingtaine de colons a été établi, dans les conditions que vous connaissez, sur un domaine agricole aux environs de Cerna-Voda.
Ce sont ces derniers qui m’inquiètent. Il est assurément compréhensible que, brusquement frustrés de leur ancienne aisance, transplantés dans un milieu nouveau pour eux, ayant dû passer l’hiver en pleine campagne, dans un climat rude et des habitations assez primitives, ils aient subi, au cours de la mauvaise saison, une crise de «cafard». Nous avions réussi à les défendre contre les persécutions des légionnaires, mais nous ne parvenons pas à les protéger contre eux-mêmes.
Dès que j’eus vent de ce qui se passait parmi eux, je les invitai à m’exposer leurs griefs, qui sont nombreux et divers.
Pour vous permettre de vous faire une opinion, je crois utile de rappeler tout d’abord les données du problème.
Le gouvernement roumain ne m’ayant jamais donné l’appui qu’au premier moment il m’avait fait espérer, il ne pouvait pas être question d’acheter des terres à nos réfugiés de Chabag, d’abord parce que nos ressources n’y auraient pas suffi et ensuite parce que les étrangers, en Roumanie, ne peuvent pas être propriétaires de biens ruraux. Il fallut donc louer un domaine. Celui de Cerna-Voda fut choisi avec l’approbation expresse des intéressés. Pour satisfaire aux exigences de la législation roumaine, un contrat dut être conclu entre le propriétaire, d’une part, et, de l’autre, M. Eggermann, président de la Société Suisse de Bucarest, agissant en son nom personnel. Il fallut, en outre, désigner un administrateur roumain, responsable de l’exploitation. M. Brataçano, capitaine en retraite, apparenté à plusieurs familles de Chabag, fut agréé par les colons.
Les diverses visites faites à Cerna-Voda, pendant l’hiver, par M. Eggermann n’ayant pas ramené la concorde parmi eux, j’espérai un instant que ma réponse détaillée et bienveillante à leurs doléances amènerait l’apaisement. De plus, je chargeai mon collaborateur M. Stroehlin d’accompagner sur les lieux, le 23 février dernier, le président de la Société Suisse. Enfin, je reçus l’administrateur, M. Brataçano, qui me remit un mémoire4 répondant aux accusations portées contre lui par quelques-uns de nos compatriotes.
De l’ensemble des renseignements ainsi recueillis, on peut tirer les conclusions suivantes:
1° Mésentente complète entre l’administrateur et les colons. Ceux-ci, aux yeux de M. Brataçano, sont des paresseux, qui ne veulent pas fournir l’effort nécessaire à la mise en valeur du domaine. Nos réfugiés, en revanche, affirment que le «capitaine» les traite en esclaves et ne connaît rien à l’agriculture. Les reproches mutuels, envenimés peu à peu au cours de l’hiver, sont arrivés au paroxysme. Sans doute y a-t-il des torts des deux côtés, mais, pour rétablir l’harmonie, un peu de bonne volonté - qui semble malheureusement faire défaut - serait indispensable.
2° Fréquentes querelles entre Suisses. Quelques-uns sont même allés jusqu’à se dénoncer réciproquement aux autorités locales, ce qui leur a valu à tous des tracasseries policières. Cependant, le général Antonesco me disait spontanément, il y a quelques jours, que, les enquêtes ayant abouti à un résultat favorable, il avait donné l’ordre de laisser en paix nos colons.
3° Plusieurs de ceux-ci ont entrepris des démarches auprès de la Légation d’Allemagne pour être admis à rejoindre ceux de leurs parents et amis qui se trouvent actuellement en Silésie. On a beau leur dire que les autres habitants de Chabag qui ont tablé sur la générosité du IIIe Reich n’ont encore rien reçu de tout ce qui leur était promis et se trouvent réduits soit à vivre dans des camps où ils sont certainement moins libres de leurs actes qu’à Cerna-Voda soit à travailler en usine, ils sont obsédés par l’idée de recevoir (mais quand?) des terres en remplacement de celles qu’ils ont perdues. Nos objurgations patriotiques ne les émeuvent guère.
4° Sachant que la Société Suisse de Bucarest dispose de certains fonds recueillis en Suisse en faveur des réfugiés suisses de Bessarabie, les colons de Cerna-Voda s’imaginent ou, du moins, feignent de croire que l’on cherche à réaliser des économies à leur détriment. Ce soupçon est absurde, mais les intéressés ont peine à comprendre que, dans les circonstances actuelles et en raison des risques assumés, une politique financière de prudence et de prévoyance demeure indispensable.
Pour vous permettre de vous faire un tableau plus complet des conditions d’existence de la colonie, je joins à la présente lettre, en deux exemplaires, le rapport établi par mon collaborateur M. Stroehlin après sa visite à Cerna-Voda.
Les allocations mensuelles versées aux colons étaient tout à fait insuffisantes. Je les ai fait augmenter. Cela n’a pas mis fin aux plaintes et querelles. A tous les témoignages de bienveillance que je leur ai prodigués, les intéressés opposent une attitude caractérisée par l’absence totale de confiance, de patience et de patriotisme.
Aux dernières nouvelles, plusieurs d’entre eux (ils le nient, mais le fait paraît certain) auraient engagé de nouvelles démarches aux fins de se faire «rapatrier» en Allemagne. Ces démarches, si elles aboutissaient, priveraient la colonie des trois quarts de son effectif, ce qui mettrait la Société Suisse de Bucarest en très fâcheuse posture, étant donné les engagements pris envers le propriétaire du domaine.
A ce propos, je crois devoir rappeler la question posée dans mon rapport du 1er février5 et demeurée jusqu’à ce jour sans réponse.
Il importerait de savoir exactement dans quelles conditions le IIIe Reich incorpore à ses «Volksgenossen» des personnes de nationalité étrangère. Leur accorde-t-il, oui ou non, la qualité de ressortissant allemand? Dans l’affirmative, quelles mesures la Suisse pourrait-elle prendre à l’égard de ces transfuges? N’y aurait-il pas lieu d’introduire dans la loi une disposition qui les déclare déchus de la nationalité suisse?
Du point de vue de l’équité et de la morale, il est difficile d’admettre que des gens puissent, après avoir été secourus et entretenus pendant de longs mois par la solidarité helvétique, se placer sous la protection d’une puissance étrangère, se mettre à son service, s’agréger à elle sous tous les rapports et, si l’expérience tourne mal pour eux, se réfugier en Suisse, y exercer leurs droits de citoyens et recourir une fois de plus à l’assistance de la communauté nationale. Le cas de ces mauvais citoyens diffère entièrement de celui des Suisses nés à l’étranger et à qui la législation d’un Etat étranger impose «jure soli » une nationalité qu’ils n’ont pas sollicitée. Leur attitude ressemble fort à une trahison. Il faudrait donc rechercher les moyens de la prévenir et, s’ils échouent, ceux de la sanctionner.
Ne pourrait-on pas commencer par demander au gouvernement du Reich des explications sur les procédés dont il use envers nos ressortissants?
D’autre part, en attendant que des mesures législatives puissent être envisagées pour régler le statut national des transfuges, ne serait-il pas opportun d’adresser aux agents diplomatiques et consulaires de la Confédération des instructions sur cette matière, aux fins de défendre le prestige, les droits et les intérêts de la Suisse.
Là où la sollicitude la plus paternelle se heurte à une mauvaise volonté manifeste, un recours à la manière forte serait pleinement justifié.
Dans l’attente de votre obligeante réponse, que je souhaite de recevoir promptement6, je vous prie...
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 3/403.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Il s’agit des derniers résidents de la Colonie suisse de Chabag, dont la grande majorité a quitté la Bessarabie, à l’arrivée des troupes soviétiques en juin 1940. De cette colonie créée en 1822 pour répondre à un appel du Tsar, devenue prospère après bien des difficultés au point de compter près d’un millier de membres avant 1914, il ne restait plus qu’une centaine de personnes en 1940. Pour une documentation sur cette colonie et son sort de 1940 à 1943, cf. E 2200 Bukarest 4/19.↩
- 4
- Non reproduit, cf. E 2200 Bukarest 4/19.↩
- 5
- Non reproduit, cf. E 2200 Bukarest 4/19.↩
- 6
- N’ayant pas eu de réponse, le Ministre de Week écrit au DPF le 2 juillet: La tentative faite pour créer à Cerna-Voda, au bénéfice des réfugiés suisses de Chabag, l’embryon d’une nouvelle colonie doit malheureusement être considérée comme ayant échoué. Tous les colons, sauf trois, ont déserté. A la suite de la reconquête de la Bessarabie par la Roumanie en juillet 1941, le Ministre de Suisse à Bucarest remet une note au Ministère roumain des Affaires étrangères en date du 27 juillet, dans laquelle il demande en faveur des citoyens suisses de Chabag qu’ils puissent reprendre possession des biens meubles et immeubles qu’ils avaient abandonnés, pour autant que ces biens n’ont pas été détruits par faits de guerre. Par une note verbale du 15 septembre 1941, le gouvernement roumain fait savoir que les réfugiés suisses de Bessarabie peuvent rejoindre librement leurs foyers. Ainsi plusieurs familles disséminées regagnent Chabag en 1941, mais elles devront affronter un nouvel exil en 1944 avec le retour de l’armée soviétique en Bessarabie.↩
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