Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 13, doc. 367
volume linkBern 1991
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E5795#1000/951#153* | |
Old classification | CH-BAR E 5795 19 | |
Dossier title | EMD (1940–1940) | |
File reference archive | 1.C.3 |
dodis.ch/47124
J’ai l’honneur de vous donner connaissance de l’opinion qui ressort d’un certain nombre de lettres que j’ai reçues et de conversations que j’ai eues ces derniers temps avec diverses personnalités suisses2. De la victoire allemande sur la France, de la conclusion de l’armistice et de l’établissement d’une hégémonie de fait des puissances de l’Axe sur l’Europe continentale, il résulte un changement d’équilibre politique qui implique, pour tous les états de l’Europe, et singulièrement pour les états limitrophes des puissances de l’Axe, une situation entièrement nouvelle sur les plans politique, économique et social.
Celle-ci implique à son tour des obligations diplomatiques nouvelles.
Notre diplomatie ne saurait s’ancrer désormais dans des méthodes surannées.
Or, il semble que, depuis le début de la guerre, et surtout depuis la signature de l’armistice, nos agents diplomatiques aient obtenu des résultats très inégaux d’une capitale à l’autre.
A cet égard, la comparaison entre l’efficacité de notre action à Berlin et à Rome ferait l’objet d’une étude riche d’enseignements.
Pendant la période, décisive, qui succéda à l’armistice et qui fut marquée, entre autres, par l’affaire des aviateurs3, notre représentant diplomatique à Berlin ne réussit pas à saisir les principales autorités du Reich et dut se contenter de traiter avec les chancelleries, lesquelles obéissaient à des instructions impératives.
Ces autorités, ces dirigeants, purent être comparés eux-mêmes, avec raison, à des «étoiles filantes», dans le sillage desquelles il n’y eut ni temps ni place pour des entretiens germano-suisses.
Le moins qu’on puisse dire est que cette situation se révèle très fâcheuse. L’affaire des aviateurs, dans la mesure où elle a été connue, et notamment le refus des visas à la mission des Col. Isler et Magron4, a donné, à tort ou à raison, l’impression d’une carence ou d’un échec de notre action diplomatique. Peut-être cette impression n’a-t-elle pas été étrangère au mouvement de défiance que le Président de la Confédération a relevé lui-même, dans certains milieux, à l’endroit de la conduite de notre politique extérieure.
Depuis lors, des pourparlers germano-suisses se sont déroulés sur le plan économique; ils ont abouti aux accords annoncés par le communiqué officiel du 9 août.
Mais ces négociations paraissent limitées à un domaine restreint. Il y aurait lieu d’envisager désormais entre Berne et Berlin, un échange de vues d’une autre ampleur, qui s’étendrait non seulement aux questions économiques, mais aux questions politiques, culturelles, sociales, touristiques, etc.
Autrement dit, il faudrait inaugurer dès maintenant une politique de prestige et de propagande suisses, qui viserait, en premier lieu, à s’exercer en Allemagne. Parallèlement, les efforts heureux de notre diplomatie en Italie seraient confirmés et développés.
Si, pour des raisons dont le Commandement de l’Armée n’a pas à connaître, notre ministre actuel à Berlin doit être maintenu à son poste pour un certain temps encore, on pourrait étudier, non pas en superposition, mais sur un plan plus large et plus élevé, une «ambassade» extraordinaire, qui serait confiée à un homme «nouveau», lequel serait chargé, auprès du Gouvernement du Führer, de missions temporaires.
Il semble que cet homme «nouveau» existe en la personne de M. C.-J. Burckhardt, ex Haut-Commissaire de la S.d.N à Dantzig, membre du Comité International de la Croix-Rouge, et Professeur à l’Université de Genève.
Par sa formation et sa culture, essentiellement germaniques, M. Burckhardt se trouve à même de comprendre les hommes, les idées et le courant de civilisation qui s’affirment aujourd’hui, à travers le IIIe Reich, comme une des manifestations les plus caractéristiques de la civilisation et de la puissance germaniques.
Grâce aux relations personnelles qu’il a nouées, au cours de ces dernières années, avec les dirigeants du IIIe Reich, - avec le Führer, avec M. von Weizsäcker, avec le Maréchal Goering, etc., - M. Burckhardt pourrait avoir aujourd’hui avec eux de nouveaux entretiens qui se dérouleraient en dehors du cadre des chancelleries5.
Par l’activité qu’il a déployée en faveur du Comité International de la Croix-Rouge, institution estimée du Chancelier Hitler, M. Burckhardt se présenterait sous un drapeau incontesté.
Enfin, par ses qualités psychologiques et sa curiosité des «valeurs» nouvelles, il serait en mesure d’apprécier ce qu’il peut y avoir de bon, d’utile, d’important et de neuf dans l’esprit du IIIe Reich, en même temps qu’il nous renseignerait sur ses évolutions et ses tendances nouvelles.
M. Burckhardt ne serait pas seulement l’homme «nouveau» - sans étiquette politique - qui se présenterait aux dirigeants du Reich: il nous «représenterait» - au sens le plus général - auprès d’eux: sa venue, sa présence, donneraient au IIIe Reich l’impression qu’il y a quelque chose de nouveau en Suisse, que notre pays est capable de s’affranchir, à l’occasion, d’un certain esprit de routine, lequel paraît aujourd’hui intempestif ou mesquin; en un mot, que nous accomplissons, à l’aube d’une ère nouvelle, un geste tout ensemble réel et symbolique.
Parmi les diverses questions qui pourraient être traitées par M. Burckhardt, il y aurait, entre autres, de larges échanges culturels, artistiques et touristiques.
Enfin, dans un domaine très particulier, celui de la presse, où se livre entre nos deux pays, depuis le début de la guerre, une lutte incessante et souvent envenimée, M. Burckhardt serait particulièrement qualifié pour tenter un apaisement et instituer une collaboration.
Si le principe de cette «ambassade» était admis, il y aurait lieu d’examiner dans quelle mesure elle devrait ou pourrait être «camouflée», si on le jugeait nécessaire, au moins à son début.
Dans ce sens, la Croix-Rouge internationale pourrait servir de paravent.
D’après d’autres opinions que j’ai recueillies, Y Italiepourrait être amenée, suivant le cours de la guerre en général et de la campagne contre l’Angleterre en particulier, à nouer des relations économiques avec les Etats-Unis.
L’homme qui serait appelé à réaliser un plan économique et financier entre l’Italie et les Etats-Unis serait le Comte Volpi, dont les sympathies pour la Suisse sont connues6.
Il y aurait donc lieu d’envisager de plus en plus dans quelle mesure et par quels moyens les bonnes relations que notre diplomatie a réussi à créer avec l’Italie, notamment dans le domaine de la presse, pourraient être étendues et développées sur le plan économique et financier. Cela contribuerait à nous faire sortir de notre isolement actuel pour nous préparer, l’heure venue, une place dans un système économique italo-américain, auquel la France pourrait participer un jour ou l’autre.
Je vous laisse le soin de juger dans quelle mesure il y aurait lieu de donner suite à ces remarques et à ces suggestions7.
- 1
- Lettre: E 5795/153.↩
- 2
- Cette lettre, rédigée par Bernard Barbey, se base notamment sur une Note sur notre représentation diplomatique et ses exigences nouvelles, datée du 12 août 1940 (E 27 /9911).↩
- 3
- Il s’agit de deux pilotes allemands abattus et internés en Suisse et des incidents aériens, cf. Nos 300, 320, 325.↩
- 4
- Ces deux officiers (dont un de milice) devaient partir en mission auprès de l’armée de l’air allemande.↩
- 5
- Cf. No 127. Sur le voyage à Berlin de C.J. Burckhardt au début du mois de juillet 1940, cf. E 2001 (D) 3/470, E 2001 (D) 2/178 et 181.↩
- 6
- Cf. E 4001 (C) 1/283.↩