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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 467
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#1124* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 482 | |
Dossier title | Warschau, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 9 (1937–1938) |
dodis.ch/46727
On a beaucoup parlé en Europe Centrale du prochain rattachement de la Ville Libre au IIIe Reich, pour effacer jusqu’au souvenir de la Société des Nations et de son Haut-Commissariat et pour ramener une ville de culture germanique dans le giron de la Grande Allemagne. On a même considéré cette réannexion comme devant se produire dans un laps de temps assez court. L’opinion officielle qui prévaut à Varsovie est différente en ce sens que les dirigeants polonais prétendent n’avoir pas la moindre crainte à cet égard. «La Pologne», dit-on au Ministère des Affaires Etrangères, «a toujours reconnu que Danzig était une ville allemande et elle l’a laissé dès lors s’administrer à sa guise. Il lui suffit que les intérêts économiques polonais soient respectés». Dans les cercles diplomatiques, on ne croit pas non plus, malgré l’attitude du Sénat danzigois et l’omnipotence du «Gauleiter» Forster, que Hitler va avaler Danzig dans quelques mois. On est d’avis qu’il n’y aurait aucun avantage pour l’Allemagne, puisque la Pologne reconnaît le caractère allemand de la Ville et qu’elle la laisse vivre à sa façon. Ce serait là seulement se brouiller avec Varsovie, bien que l’on reconnaisse que Danzig est un fruit mûr qui tombera un jour tout seul dans le tablier de l’Allemagne. Pourquoi Hitler, qui a certainement un intérêt à prolonger son axe Rome-Berlin jusqu’à Varsovie, irait-il précipiter ce moment? Certes, l’introduction des lois dites de Nuremberg sur l’exclusion des Juifs des emplois d’Etat et de diverses professions libérales - il y a à Danzig un millier de Juifs allemands et 5000 Juifs polonais - et l’existence d’un nouveau «Beamtengesetz», qui dispense les Allemands de prêter serment à la Constitution, mais les oblige à le prêter au Parti Nazi, ne sauraient être agréables à Varsovie. Cependant, le Colonel Beck, qui tient essentiellement à ses bonnes relations avec le Reich, n’intervient guère avec vigueur à Berlin ou à Danzig et il se borne à des représentations platoniques. En Pologne, l’opposition lui reproche sa faiblesse dans cette question et va même jusqu’à l’appeler, à voix basse, «vendu à Danzig».
Ce qu’il y a de plus probable, pour ne pas dire certain, c’est que notre compatriote le Haut-Commissaire a de grosses difficultés pour exercer un mandat qu’il conçoit de la manière la plus élevée, et que sa position est devenue pénible, sinon intolérable. Le Gauleiter a reçu un «savon» du Maréchal Goering parce qu’il avait interdit aux fonctionnaires du Sénat de travailler avec le Haut-Commissariat, de sorte que cet ordre a été rapporté. Mais comment étabir une collaboration utile dans de telles circonstances de fanatisme?
Memel: Le bruit a également couru dans diverses capitales que Memel subirait, et en même temps, le sort réservé à Danzig. A ce sujet, les remarques faites ci-dessus pour la Ville Libre s’appliquent à Memel. La vérité est que le Gouvernement lithuanien lui-même a prié M. Neville Chamberlain de poser de façon franche à Hitler, lors de l’entrevue de Godesberg, une question relativement à Memel. Le Führer a répondu (je le tiens de mon collègue lithuanien lui-même) qu’il n’avait pas de visées territoriales, mais qu’il exigeait une application stricte du Statut Spécial de Memel.
Hongrie: L’amitié hongroise s’est quelque peu refroidie pour le moment, car la Pologne est déçue, et même mécontente, de la manière dont le Gouvernement Imredy a laissé passer une aussi belle occasion d’empocher une fois pour toutes la Ruthénie et de réaliser le rêve polonais d’une frontière commune. Varsovie reproche à la Hongrie d’avoir été molle et sans audace et de n’avoir pas «risqué le coup» en envahissant la Ruthénie entière les 2 et 3 octobre. Il fallait profiter du dépècement sudète et de l’attitude ultra-énergique de la Pologne. En envahissant le territoire, on avait quand même le temps d’occuper quelques villes, que l’on aurait promis de rendre pour gagner du temps, mais bien entendu avec l’intention de les garder. Tout ceci aurait causé quelques jours de flottement et de désarroi international et Varsovie croit que dans la bagarre la Hongrie aurait plus gagné que par la Sentence de Vienne.
L’insistance de la Pologne est telle que tous les diplomates et journalistes consultés ont affirmé que c’était elle qui avait organisé des bandes armées, lancées sur la Ruthénie en même temps que des bandes hongroises, dont le but était de causer du grabuge et de remettre toute la question sur le tapis. Ce jeu n’a pas marché et semble avoir aujourd’hui cessé à la suite d’une visite de l’Ambassadeur d’Allemagne au Colonel Beck. Il est évident que ce qui a empêché cette frontière, par laquelle la Pologne allait pouvoir créer un bloc politique en Europe Centrale - bloc d’autant plus intéressant qu’il barrait la route de l’Est au Reich et qu’il protégeait l’Ukraine polonaise contre les intrigues de Berlin -, c’est l’attitude franchement négative de l’Allemagne. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la carte pour que se révèle l’intérêt puissant que, maintenant que la Tchécoslovaquie est tombée sous son influence complète, le Führer a dans le maintien de l’indépendance de la Ruthénie, où il peut non seulement agiter l’Ukraine subcarpathique, mais aussi les cinq millions d’Ukrainiens sujets de la Pologne, et espérer plus tard jeter son dévolu sur l’Ukraine russe et sur ses blés, tandis que le pétrole de la Roumanie ne saurait, dans la future cristallisation internationale de l’Europe, le laisser indifférent.
Ce qui paraît avoir empêché les Hongrois d’aller de l’avant comme les Polonais, c’est non seulement que la Hongrie est un petit pays moins doté en moyens militaires, mais encore qu’elle avait peur qu’un dernier soubresaut de la Petite Entente mourante ne déclenchât contre elle la Yougoslavie et la Roumanie, qu’elle craignait l’intervention de Berlin et qu’elle comptait davantage sur celle de l’Italie, qui n’a pas été suffisamment accentuée pour faire fléchir l’opposition germanique. (Le Comte Ciano est attendu à Varsovie en janvier.)
Petit à petit, le nom d’Ukraine se présentera toujours plus aux yeux de l’observateur diplomatique et l’on peut dire que la non-création de la frontière polono-hongroise a donné naissance à un problème ukrainien. On peut même supposer que chaque Ukraine, la russe, la polonaise, la carpathique et la roumaine, constituant l’une pour l’autre un pôle d’attraction, pourrait, avec l’aide souterraine de la puissante Allemagne, devenir un jour un Etat autonome, lui aussi influencé par l’Allemagne, de sorte que le IIIe Reich aurait réalisé son rêve d’exercer son influence politique et économique jusqu’à la Mer Noire, tout en diminuant la puissance de la Pologne et de la Russie.
Le problème ruthéno-ukrainien, avec toutes ses «adhérences» aux quatre points cardinaux, n’a pas fini de faire parler de lui, et c’est avec autant de sens aiguisé de l’observation diplomatique que d’humour que mon collègue belge l’appelait hier le «panier de crabes».
Roumanie: Les relations de la Pologne avec la Roumanie ne sont plus ce qu’elles étaient au moment où, il y a quelques mois, leurs Légations respectives ont été érigées en Ambassades. Nul n’ignore que le Colonel Beck est ulcéré de son échec auprès du Roi Carol et il en rend responsable le Ministre Comnène au point que le Roi l’a même raconté récemment à Londres.
France: La position de l’Ambassadeur Noël n’est guère facile, car le Colonel Beck, malgré les protestations d’amitié qu’il fait à l’agent diplomatique français, passe pour détester la France. Il y a à cela une raison personnelle peu connue: le Colonel a été attaché militaire à Paris, et, pour différentes raisons, l’Etat-Major français a demandé son rappel. Pourra-t-il jamais l’oublier?
Il est intéressant de noter ici qu’à fin novembre, le Gouvernement français a fait savoir à celui de Pologne que, dans les déclarations franco-allemandes qui allaient être signées à Paris par M. von Ribbentrop, était insérée une réserve sur le maintien des accords existant entre les deux pays. En attendant, la France continue à arroser la Pologne de milliards qu’elle encaisse pour ses industries et ses mines sans la moindre reconnaissance.
Lithuanie: Les relations avec Kowno reprennent peu à peu par des séries d’arrangements (passeports, frontière, trafic frontalier) ou des négociations économiques. On a beaucoup apprécié en Pologne le fait que le Gouvernement lithuanien avait dissous la «Ligue pour la récupération de Wilno». Evidemment, les Lithuaniens s’attendent aussi à ce que la Pologne fasse un geste en retour et l’on peut constater une détente certaine.
L’Ambassadeur d’Angleterre, qui est un humoriste, disait même assez plaisamment que ce qu’il y avait de curieux sur l’échiquier diplomatique polonais, c’est que, «le seul pays avec lequel la Pologne était tout à fait bien aujourd’hui était la Lithuanie». Nous n’irons pas jusque-là.
La Lithuanie prétend que l’ultimatum du mois de mars était parfaitement inutile, car au moment où il s’est produit, le Gouvernement de Varsovie savait que celui de Kowno était en train de préparer la voie à une reprise des relations et travaillait dans ce but son Cabinet, ses parlementaires, son opinion publique et sa presse. Cette brusquerie a froissé l’orgueil lithuanien et, malgré la détente, il nous semble que les relations ne seront jamais chaudes, le nom de Wilno brûlant sans doute éternellement dans le cœur de chaque patriote.
Russie: La nouvelle que Varsovie venait de faire un signe à Moscou a fait ouvrir bien des yeux et tendre bien des oreilles. Voici quelle en est la genèse.
Le 22 septembre, à 3 h. du matin, le Commissaire Potemkine à Moscou a sorti de son lit le Chargé d’Affaires polonais pour lui dire que si la Pologne continuait sa concentration intense de troupes le long de la frontière tchèque, le Gouvernement de l’URSS examinerait la dénonciation du Pacte de nonagression russo-polonais de 1932. On ne sait pas jusqu’à quel point le Gouvernement de Varsovie tînt compte, au point de vue militaire, de cet avertissement, mais il faut voir là, m’assure-t-on de bonne source, l’embryon des conversations qui suivirent au cours d’octobre et de novembre. Au Ministère des Affaires Etrangères, on affirme que la Pologne avait à traiter avec la Russie diverses questions relatives aux échanges commerciaux qui ne marchent pas, à des contingentements, aux transports de marchandises polonaises vers la Perse, à la position impossible faite à quelques Consuls et à la violation de courriers diplomatiques. Quoi qu’il en soit, la Pologne paraît avoir choisi le bon moment pour publier le Communiqué du 28 novembre, qui relatait les entretiens entre M. Litwinoff et l’Ambassadeur de Pologne à Moscou et qui constatait que:
1°) les liens entre les deux pays continuent à se baser sur les accords en vigueur, dans toute leur ampleur, y compris le Pacte de non-agression polonosoviétique du 25 juillet 1932, qui servait de base suffisante à la garantie de l’inviolabilité des relations pacifiques entre les deux Etats;
2°) les deux Gouvernements gardaient une attitude favorable relativement au développement des échanges commerciaux;
3°) et qu’ils reconnaissaient tous deux la nécessité du règlement d’une série d’affaires en cours dont la solution avait été ajournée, y compris divers incidents de frontière.
Le Gouvernement de Varsovie se défend d’avoir voulu, par ce Communiqué, manifester de la mauvaise humeur vis-à-vis de l’Allemagne en raison de son attitude contraire au vœu polonais d’une frontière polono-hongroise.
Dans les cercles diplomatiques, personne ne croit à cette thèse trop simple, surtout si l’on connaît la subtilité de la diplomatie du Colonel Beck.
Allemagne: Au Ministère des Affaires Etrangères, on affirme au contraire que la Pologne s’entend bien avec le Führer et que le régime actuel du IIIe Reich est en somme celui qui lui est le moins préjudiciable. On ajoute que s’il était remplacé en Allemagne par un mouvement des gauches, ces derniers chercheraient à se rapprocher de Moscou, de sorte que la Pologne se trouverait coincée. Si c’étaient les droites qui prenaient le dessus, on n’est pas sans savoir qu’elles ont toujours détesté la Pologne. Enfin, ajoute-t-on comme conclusion, la Pologne a reçu des apaisements suffisants en ce qui concerne le Corridor poméranien et on souligne même que «Hitler a toujours tenu les promesses qu’il avait faites». Les relations actuelles sont donc considérées comme normalisées «après quinze ans de relations de sauvages entre 1919 et 1934», date où Pilsudski a conclu le Pacte polono-allemand de non-agression qui, la Pologne étant devenue une force, tient bon et rend des services. Quoi qu’il en soit, le réaliste Colonel Beck joue actuellement un jeu diplomatique aussi multiple que difficile et il ne pardone pas aux Grandes Puissances libérales, comme la France et l’Angleterre, de ne pas assez prendre son pays au sérieux et de ne pas l’avoir admis, comme cinquième comparse, dans le fameux concert des Quatre de Munich.
La Pologne de M. Beck, exposée à tous les vents, est naturellement traversée par des courants d’air contraires et elle est loin d’avoir entièrement la stabilité que lui conférera peut-être un jour sa position géographique et la nature de son territoire peuplé de trente-cinq millions d’habitants.
Elle fait, pour se renforcer, un effort militaire considérable, mais elle cherche encore sa voie et des alliances plus solides. Au point de vue intérieur, elle s’érige davantage en Gouvernement totalitaire, et, sa Constitution tronquée de 1935 ne laissant aucune influence à sa Diète et à son Sénat, elle vient de se doter de trois Décrets (sur la presse, sur la protection de l’Etat et sur la dissolution des loges maçonniques) qui, s’ils étaient appliqués à la lettre, pourraient, selon la réflexion d’un diplomate, «faire pendre chaque citoyen du pays tout entier».
- 1
- E 2300 Warschau, Archiv-Nr. 9.↩