Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 359
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#484* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 231 | |
Dossier title | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 32 (1938–1938) |
dodis.ch/46619
Sir Robert Vansittart occupe au Foreign Office, comme vous le savez, depuis le départ de Mr. Eden, un poste qui n’a pas existé jusque-là et qui a été spécialement créé pour lui, celui de Conseiller-expert pour questions politiques - ou comme on voudra l’appeler. Sir Robert fut remplacé alors par Sir Alexandre Cadogan qui lui a succédé en qualité de Sous-Secrétaire permanent aux Affaires Etrangères.
Vansittart est, ainsi, en dehors du corps régulier des fonctionnaires. Il ne remplace, en cas d’absence, ni le Secrétaire d’Etat, ni le Sous-Secrétaire permanent. Il a son bureau et son personnel à lui et étudie les questions qui lui sont confiées par Lord Halifax ou le Premier Ministre, ou par le Cabinet à la demande de l’un des Ministres de la Couronne.
On a prétendu à un certain moment qu’il était mis à l’écart et que son influence s’évanouissait. Je ne le crois pas.
Il reçoit les Ambassadeurs et Ministres quand ils désirent le voir et discute avec eux les questions qui les intéressent. Mais il ne s’occupe pas de la routine ni de la correspondance qui est la forme matérielle des affaires. Il ne signe pas de notes.
Il habite actuellement sa propriété à vingt milles de Londres et, vu les soucis internationaux du moment, il vient au moins trois fois par semaine travailler en ville.
J’ai profité de sa présence à Londres pour aller le voir. Il me semblait utile d’avoir son opinion quant à la situation et aux probabilités pour un avenir prochain et plus distant.
Vous n’êtes pas sans savoir que Sir Robert est un homme à vues très définies. Son orientation politique date des années de sa jeunesse et n’a jamais changé. De mère française, il possède autant la culture française que celle de son propre pays. Il n’a jamais eu de sympathie pour l’Allemagne, ni pour ceux qui lui paraissent subir l’influence germanique. Bien que Lady Vansittart et Lady Phipps, qui sont deux sœurs, soient à ce qu’on dit brouillées, cela n’empêche pas que les deux beaux-frères voient d’un même œil en politique.
Je lui ai dit ceci:
Mon contact avec les fonctionnaires supérieurs du Foreign Office ne me laisse pas de doute sur l’attitude officielle. On ne veut pas encourager le pessimisme. On se base vis-à-vis du public sur les faits purement matériels et on n’entre pas en matière quant aux impressions - qui varient nécessairement -, quant à la possibilité de chocs imprévus qui pourraient nous surprendre par le revirement subit d’une Chancellerie quelconque, quant aux problèmes de bonne foi, etc. Cependant, tout en admettant que les faits comptent en première ligne, l’impression produite par les développements et leur évolution probable n’est qu’à peine moins importante. Le Foreign Office doit avoir son idée arrêtée à ce sujet. Quelle est cette idée? - En ce qui me concerne, je vois dans l’état d’esprit et d’activité en Europe, une force qui fatalement, si cela continue ainsi, doit nous conduire à la guerre - pas cette année encore, ni peut-être la prochaine, mais par exemple en 1940. Je sais que beaucoup d’Anglais pensent comme moi (voir mon rapport d’hier), etc.
Voici en résumé ce que je retiens des paroles de mon interlocuteur:
Franchement parler, la situation est mauvaise. Elle l’est d’autant plus qu’il n’est pas plus facile aujourd’hui qu’il y a six mois de savoir quelles sont les vraies intentions de ceux qui ne sont pas contents, en première ligne l’Allemagne.
Le point brûlant du moment est naturellement la Tchécoslovaquie. L’Allemagne désire-t-elle un arrangement pacifique ou non? C’est une question à laquelle il n’est pas possible de répondre en ce moment-ci. On verra plus clair dans deux ou trois semaines. Cela dépend des prétentions de Berlin; si elles dépassent les exigences qui peuvent raisonnablement être faites valoir à l’égard d’un Etat indépendant et affectent les nécessités d’existence de celui-ci, nous nous verrons en face d’une crise dangereuse très prochainement.
L’attitude de Berlin (les Sudètes eux-mêmes peuvent être laissés de côté en fait de facteur politique) ne semble pas faite pour nous rassurer beaucoup. Au contraire, depuis quelque temps on a l’air de pousser, dans le parti au moins, vers un conflit. On se fatigue à Londres et à Paris de la provocation de certains orateurs nazistes. La récente campagne violente contre Prague a fait une impression lugubre.
La «mission» Runciman a déplu à Berlin, cela devient évident. On y voit une entreprise uniquement au profit des Tchèques. Il fallait l’accepter parce qu’elle venait de Londres, et tandis qu’au début on faisait à peu près bonne mine à mauvais jeu, on parle maintenant plus franchement. Ceci n’est pas un bon signe.
Le caractère de la «mission» ne joue pas un grand rôle. Mais de fait, Lord Runciman n’est en mission ni officielle ni officieuse, mais personnelle. Il n’a à demander des instructions ou conseils à personne. Il reste juge de sa tâche. Ashton-Gwatkin et Stopford lui sont attachés et sont en même temps détachés de leur office. Jusqu’au jour de notre conversation, il n’y a eu aucune correspondance de Lord Runciman. Il fera un jour un rapport, mais il sera libre de le faire quand et comme il voudra.
Malgré cette formule, il est compréhensible qu’on le considère comme un envoyé des Puissances qui sont politiquement plus près de Prague que de Berlin. Le fait indiscutable est toutefois qu’il considère comme son devoir d’aider aux deux partis et d’être strictement impartial. Ceux qui connaissent Lord Runciman savent qu’il ne sera qu’impartial et juste.
«Vous dites, continua Sir Robert, que vous voyez, faute de changement de mentalité, etc. une catastrophe pour, disons 1940. Vous êtes plus optimiste que moi.»
Selon lui, cela dépend, ainsi que je le dis plus haut, de l’attitude allemande dans le problème sudète. Il ne lui semble pas impossible du tout que les affaires se gâtent sérieusement cet automne déjà. Il y a toute une série de circonstances qui donnent à réfléchir, telles que l’activité fiévreuse dans et autour des nouvelles fortifications du Rhin et la poussée des armements plus forte en Allemagne qu’ailleurs, n’importe où. Puis, un détail: la mobilisation des services sanitaires afin que ces organisations prennent part au complet aux manœuvres - ce qui ne semble pas normal. (De quelles organisations s’agirait-il là et cette information est-elle exacte?) -.
Bref, ayant cherché à me faire une idée de la façon de voir dans les hauts milieux politiques, j’ai rapporté de mon entretien la certitude que Sir Robert est franchement inquiet, non pas au sujet des possibilités qu’il entrevoit pour les années à venir, mais au sujet de l’avenir immédiat. Cela ne veut pas dire qu’il exclut, en fin de compte, un arrangement, mais je suis tenté de croire qu’il estime les chances égales, tout au plus! Ce qui est certain, c’est que selon lui, l’issue dépendra entièrement, ou disons: presque entièrement, de la bonne ou de la mauvaise volonté de Berlin.
J’ai cru deviner encore une autre pensée digne d’être notée. Même si l’on arrive à un accord, M. Hitler ne devra-t-il pas céder sur des points qu’il avait déclarés indiscutables? Dans ce cas, l’arrangement se présentera une fois de plus pour lui comme un échec. De pareils résultats créent le désir de la revanche. On peut donc tourner la chose dans n’importe quel sens, on n’y trouve malheureusement nulle part un facteur qui, d’une façon durable, contribuerait à l’apaisement européen.
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Sudeten Crisis and Munich Agreement (1938)