Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.14. ITALIE
II.14.3. ITALIE. AFFAIRES DE PRESSE
Également: Les griefs du Gouvernement italien sont très exagérés. Annexe de 21.1.1938
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 191
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.19-01#1000/1723#91* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.19-01(-)1000/1723 11 | |
Dossier title | Relations politiques italo-suisses (1935–1940) | |
File reference archive | l.C.4.a |
dodis.ch/46451
J’ai eu l’honneur de vous renseigner hier soir sommairement sur l’entrevue que je venais d’avoir avec M. Alfieri, Ministre de la culture populaire.
M. Alfieri m’avait prié hier au début de l’après-midi de venir le trouver aussitôt que possible pour une communication urgente. Comme je le prévoyais, il s’agissait d’une communication qu’il était chargé de me faire de la part du Chef du Gouvernement. Je dois dire que le Ministre de la culture populaire paraissait assez embarrassé de l’ordre qu’il avait reçu et dont il essayait d’envelopper l’exécution avec des circonlocutions aimables.
Voici en substance la communication dont il s’agit. Le Chef du Gouvernement, m’a dit M. Alfieri, est toujours fort irrité de l’attitude «antipathique» d’une grande partie de la presse suisse envers l’Italie et son régime. (Ici j’ai fait observer que c’était nous qui étions peinés de l’incompréhension dont avait fait preuve l’article «Konovaloff» du «Popolo d’Italia», mais qu’une mise au point avait été faite à ce sujet à Berne.) M. Alfieri a poursuivi que malgré tout «la presse suisse poursuivait dans son attitude et que pas plus tard qu’hier des articles antipathiques lui avaient été signalés». Il était chargé d’ajouter que cette question appelait la sérieuse attention du Duce et que s’il n’était pas porté remède à la situation dont il se plaignait, M. Mussolini «transporterait la question du domaine journalistique sur le terrain politique et diplomatique».
En présence de cette menace, et après avoir marqué ma surprise, j’ai prié M. Alfieri d’expliquer sans délai à son chef que ces informations étaient erronées et tendancieuses. J’ai répété - ce que nous avions expliqué tant de fois (!) que dans peu de pays la grande presse qui compte vraiment était aussi sereinement objective à l’égard de l’Italie et compréhensive de ses aspirations. Je me suis notamment étendu sur l’attitude rédactionnelle de la «Nouvelle Gazette de Zurich», du «Journal de Genève», de la «Gazette de Lausanne» et d’autres organes lus en Suisse et à l’étranger et au sujet de l’attitude desquels il ne fallait pas interpeller des informateurs agissant avec parti pris, mais des Italiens objectifs ayant résidé en Suisse. M. Alfieri a immédiatement pris des notes sur ma réponse en me promettant de la transmettre le même soir à M. Mussolini.
Il va de soi que j’ai développé, peut-être pour la centième fois, qu’il était impossible de mesurer d’après le même barème la presse constitutionnellement libre de notre pays et la presse contrôlée d’un pays autoritaire; que les moyens d’action de l’Autorité fédérale en matière de presse étaient des plus limités; que néanmoins certains articles offensants étaient signalés par nos autorités à la Commission de presse; qu’enfin le Département avait encouragé l’établissement à Rome d’un représentant de l’Agencetélégraphique suisse, organisme non pas officieux, pas subventionné, mais dont l’action pouvait néanmoins être utile pour éclaircir certains malentendus. J’ai enfin demandé instamment à M. Alfieri de laisser faire plutôt un effort constructif que de rassembler et de mettre en vedette des voix critiques. Sans prolonger la discussion (comme le font habituellement dans des questions de ce genre le Ministre Ciano et le Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères), M. Alfieri a aimablement pris note de mon exposé, en promettant d’en référer en plus haut lieu.
M. Alfieri n’était d’ailleurs pas en mesure de préciser sur quels articles se fondait la nouvelle mauvaise humeur du Duce. Il m’a fait comprendre que ce dernier connaissait beaucoup mieux la presse suisse que lui-même. Sur mon insistance, il s’est informé téléphoniquement auprès de son collaborateur, le Ministre Rocco, qui lui a signalé la «Nationalzeitung». Sans poursuivre le débat, j’ai immédiatement fait observer qu’il ne fallait pas considérer ce journal, qui ne ménage pas ses critiques aux Autorités fédérales, comme un organe représentatif de la grande presse suisse. M. Alfieri ayant prononcé le nom du «Bund», j’ai essayé une fois de plus de détruire la légende que ce grand journal serait un organe officieux.
En parlant enfin de la «réaction» de M. Mussolini dont il était question, je n’ai pu m’empêcher d’ajouter que, sans doute toujours inopportune, une polémique voire un conflit, ne devraient certainement pas s’engager à propos de quelques feuilles socialistes ou autres. Le moment actuel serait particulièrement mal choisi du côté italien. Voudrait-on, ai-je dit, par une discussion véhémente entre notre voisin du Sud et nous-mêmes, entamer l’unanimité qui s’est formée autour du Conseil fédéral dans la partie serrée qu’exige sur d’autres fronts l’affirmation de notre neutralité intégrale? Toute action intempestive devrait être soigneusement évitée. M. Alfieri a aussi pris note de cette réflexion, dont il a paru personnellement frappé 2.Cet entretien, extrêmement courtois dans la forme, donne à réfléchir. A ma connaissance, il n’y a pas eu dans la presse suisse sérieuse, depuis la parution de l’article «Kanovaloff», d’entrefilet méritant une démarche aussi solennelle. M. Micheli, Conseiller de Légation, qui a téléphoné hier soir même au Ministre Rocco pour demander des éclaircissements sur les nouveaux articles incriminés en haut lieu, n’a pu obtenir d’autre réponse qu’il s’agissait de correspondances de Londres (reproduisant d’ailleurs des voix de journaux anglais) sur la situation précaire en Ethiopie. Soit dit entre parenthèses, le problème d’Ethiopie constitue toujours un point sensible pour le Chef du Gouvernement, de même que toute critique formulée à l’égard de l’armée italienne.
Mais je ne crois pas que l’on doive nécessairement expliquer la démarche d’hier comme une simple manifestation de mauvaise humeur passagère. Au risque d’être pessimiste, je crois qu’il ne faut pas écarter la possibilité d’une action conjuguée de l’Italie et de l’Allemagne dans le domaine journalistique. C’est, du reste, une crainte que, tout en espérant me tromper, j’ai eue depuis la consolidation de l’axe. Dans toute la politique précédant la sortie de l’Italie de la Société des Nations, nous avons cru apercevoir une tendance de l’Allemagne d’obtenir (qu’il s’agissait du problème des colonies, de la collaboration internationale, etc.) des gages nouveaux d’amitié que Rome n’a pas refusés à Berlin. Il ne serait donc pas étonnant que l’Allemagne essayât, dans sa «guerre de presse» envers nous, de tirer de son côté M. Mussolini dont les sentiments amicaux à notre égard dans le domaine politique sont et, selon ma conviction, demeurent acquis. L’expérience récente nous démontre, d’ailleurs, que dans l’exécution d’un plan arrêté la diplomatie italienne procède par degrés. Ce furent d’abord des réclamations contre des articles individuels de presse faits à Berne, puis à Rome, au moyen de communications du Directeur de la presse étrangère au Conseiller de la Légation. Ensuite, l’article du «Popolo d’Italia» de la veille de Nouvel An, dans lequel je ne voudrais pas voir un programme pour 1938. Maintenant, c’est la convocation assez exceptionnelle par le Ministre de la culture populaire, moyen qui réserve sans doute à dessein une démarche ultérieure du Comte Ciano.
Je compte avoir des impressions plus nettes à ce sujet au cours d’un prochain entretien de caractère personnel avec le Ministre des Affaires Etrangères.
- 1
- Lettre (Copie): 2200 Rom 23/11. Relations politiques italo-suisses.↩
- 2
- Par lettre confidentielle du 21 janvier au Ministre Ruegger, Motta, qui avait déjà été informé sommairement par télégramme de la démarche d’Alfieri, commentait l’événement en ces termes: Vous voudrez bien trouver ci-joints les numéros de la «National Zeitung» et du «Berner Tagblatt» auxquels M. le Ministre Alfieri a fait allusion. Vous constaterez avec nous que les articles qui ont déplu au Chef du Gouvernement italien sont le reflet de la campagne de presse qui s’est déclenchée en Angleterre pour tenter d’empêcher les Etats scandinaves et les Pays-Bas d’imiter la décision prise par la Suisse il y a plus d’une année en ce qui concerne la reconnaissance de la conquête de l’Ethiopie par l’Italie. La «National Zeitung» publie un article de son correspondant londonien, mais le «Berner Tagblatt» se borne à reproduire une dépêche Havas. Les griefs du Gouvernement italien nous paraissent, dans ces conditions, très exagérés et, lorsque l’on prétend charger les relations diplomatiques entre la Suisse et l’Italie d’une chicane au sujet du degré d’opportunité qu’il y a à ce que des journaux suisses sur lesquels nous n’avons pas de moyen d’influence parlent de l’état d’esprit en Angleterre à l’égard de la question éthiopienne, on oublie vraiment un peu trop que, précisément dans cette question, le Gouvernement suisse a donné à l’Italie des gages éclatants de ses sentiments amicaux. Nous vous approuvons donc d’avoir marqué la surprise que provoque la démarche de M. Alfieri. Nous voulons espérer que le Chef du Gouvernement italien se convaincra de lui-même que les griefs qu’il a fait formuler par M. Alfieri sont injustes et immérités. S’ils devaient se renouveler, nous vous prions de ne pas cacher la pénible impression qu’ils nous ont causée. P.S. C’est moi qui ai souligné. M.↩
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