Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.1 LE RETOUR DE LA SUISSE À LA NEUTRALITÉ INTÉGRALE
Également: Compte rendu d’un entretien entre Avenol et Haller. Avenol estime que l’intervention de la Suisse dans le débat dirigé contre l’art. 16 au Comité des XXVIII compromettrait le succès de la demande de revision de la Déclaration de Londres. Annexe de 19.1.1938
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 188
volume linkBern 1994
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#6* | |
Dossier title | La neutralité de la Suisse dans la S.d.N. (1937–1938) | |
File reference archive | E.12.20 |
dodis.ch/46448
CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE AVEC M. WESTMAN
M. Westman, qui s’est rendu hier à Genève aux fins d’exploration, me téléphone pour me faire part de quelques impressions.
Il a vu le Secrétaire général. Il ne l’a plus trouvé dans les mêmes dispositions que ces dernières semaines. C’est qu’entre temps, M. Avenol a été à Paris et à Londres. Il en est revenu avec d’autres idées. Il n’a pas caché à M. Westman qu’à son avis, le mieux serait de se contenter d’une déclaration que la France et la Grande-Bretagne pourraient faire successivement au Conseil pour rassurer les petits pays quant aux obligations découlant de l’article 16 et de proposer ensuite au Comité des 28 de s’ajourner sine die sur ces bonnes paroles. En sommes, M. Avenol tiendrait à étouffer toute l’affaire2.
M. Westman se serait nettement élevé contre cette conception. Les petits Etats ne sont plus décidés à être à la remorque des grands. Le Comité des 28 a été convoqué; il doit se réunir et aborder la question à son ordre du jour: le rapport Cranborne sur l’universalité. Quoi qu’il arrive, M. Unden sera extrêmement ferme à ce sujet au Conseil. Il ne se laissera ni amadouer ni manœuvrer par les grands. M. Westman a appelé l’attention de M. Avenol sur le sérieux de la situation. L’heure n’est plus aux ajournements commodes. La Délégation suédoise entend être fixée nettement sur le sort de l’article 16; elle ne veut pas rentrer les mains vides à Stockholm.
M. Westman a vu également M. Bourquin, qui rentrait de voyage. M. Bourquin lui a déclaré qu’il ne se ferait pas le complice, comme Président du Comité des 28, d’une manœuvre dilatoire de Paris et de Londres. Il resterait ferme, lui aussi, sur la question qu’il avait esquissée dans le mémoire dont on nous a donné connaissance. Evidemment, M. Bourquin dépend, comme tout délégué, de ses instructions, mais M. Westman paraît être optimiste quant à l’attitude finale de la Belgique. La position prise par des socialistes comme MM. Sandler et Unden, m’a dit M. Westman, ne laisserait pas d’avoir une influence certaine sur M. Spaak.
M. Westman a vu enfin M. Walters, le Sous-Secrétaire général britannique au Secrétariat. M. Walters, qui rentrait de Londres et qui connaît fort bien, par conséquent, les vues de son gouvernement, a fait savoir qu’on ne peut guère songer à la possibilité de suspendre, voire de supprimer l’article 16. Le Gouvernement britannique tient à ce que subsiste l’obligation des sanctions vis-à-vis de tous les Etats membres, mais il est prêt, en revanche, à se montrer conciliant à l’égard des petits pays, dans l’usage qui pourrait être fait de cette obligation. Autrement dit, l’article 16 peut servir, dans certaines éventualités, à l’Empire britannique; il doit donc être maintenu. On ne l’appliquera pas nécessairement chaque fois; les petits Etats peuvent être tranquillisés là-dessus. Mais si l’on décidait à Londres de l’appliquer - et on n’écarterait pas tout à fait cette éventualité pour l’Extrême-Orient, dans un avenir peut-être encore éloigné - il serait bon que les petits Etats prêtassent leur appui.
Cette thèse est évidemment insoutenable. M. Westman n’a pas caché à son interlocuteur que, dans les circonstances actuelles, la Suède ne pourrait pas s’en accommoder. Nous ne discuterons plus, a dit M. Westman, sur le terrain juridique; ces discussions sont stériles; nous nous plaçons sur un terrain exclusivement politique; nous faisons certaines constatations à l’endroit de l’article 16 et nous en tirons des conclusions de nature à dissiper toute équivoque sur la portée de cet article à l’égard de la Suède: cet article ne la liera plus obligatoirement.
Le Gouvernement suédois est fermement décidé à parvenir, coûte que coûte, à ce résultat.
Il est optimiste, l’appui de la Suisse, des Pays-Bas et de la Belgique, au Comité des 28, constituant, à ses yeux, une grande force, qui impressionnera.
- 1
- E 2001 (D) 4/1. Ce document est paraphé: C. G. 19.1.38, 10 heures.↩
- 2
- Par lettre exprès du 19 janvier à son beau-frère P. Bonna, E. de Haller, haut fonctionnaire de la SdN, présente ainsi l’opinion d’Avenol: Je sors du bureau de M. Avenol qui m’avait convoqué après avoir pris connaissance des dépêches de Berne publiées hier soir dans la presse et annonçant l’intervention que le représentant de la Suisse serait chargé de faire au Comité des XXVIII concernant l’article 16 du Pacte. M. Avenol m’a dit à peu près ce qui suit, en m’autorisant à en faire part à M. Motta: La neutralité intégrale de la Suisse ne peut être obtenue qu’au moyen d’une décision du Conseil opérant modification de la déclaration de Londres. Cette décision doit être prise à l’unanimité; une opposition ne pourrait venir que de l’U.R.S.S., mais il y a tout lieu de croire que les représentants de la France et du Royaume-Uni parviendront à convaincre ce gouvernement de renoncer à son opposition. D’autre part, on sait qu’à sa réunion du 31 janvier, le Comité des XXVIII fera, d’une façon ou d’une autre, au sujet de l’article 16 du Pacte, les constatations souhaitées par de nombreux Etats. Si la Suisse intervenait au sein du Comité, comme le font supposer les dépêches d’hier soir, dans une offensive énergique dirigée contre l’article 16, elle se mettrait en contradiction avec ses intentions de neutralité intégrale. En effet, puisqu’elle revendique ce statut spécial qui la soustrait aux obligations découlant de l’article 16, elle paraîtrait ne pas agir pour son propre compte en s’associant à l’offensive contre cet article. Les gens de mauvaise foi, et il y en a, s’empresseraient de prétendre qu’en agissant de la sorte, la Suisse travaille pour l’Allemagne et l’Italie, ce qui n’est pas compatible avec la neutralité qu’elle a proclamée. Le fait que la Suisse aurait pris cette position dans le Comité des XXVIII compromettrait l’accueil qui serait réservé ultérieurement au Conseil à sa demande de reconnaissance de sa neutralité intégrale. J’ai dit à M. Avenol que je m’empresserai d’informer M. Motta de sa réaction. J’ai ajouté que j’ignorais quelle était la teneur de la déclaration que, selon les journaux, M. Gorgé serait chargé de faire au Comité des XXVIII. Enfin, j’ai dit que je supposais que la contradiction qui l’a frappé, si contradiction il y a, s’expliquerait peut-être par les raisons suivantes: 1° le consentement du Conseil à l’élargissement de la déclaration de Londres, bien que probable, n’est pas assuré; 2° tout en entendant recouvrer son entière neutralité, la Suisse ne juge peutêtre pas pouvoir se résoudre à un rôle passif dans les discussions portant sur les règles fondamentales de la Société; 3° étant en quelque sorte liée au groupe des pays dits «neutres», la Suisse considère probablement devoir marcher de concert avec eux au Comité des XXVIII. M. Avenol a répliqué qu’il ne pouvait se défendre de l’impression que l’intervention de la Suisse dans le débat dirigé contre l’article 16 au Comité des XXVIII compromettrait le succès de la demande de revision de la déclaration de Londres. Puisque la Suisse fait partie de ce comité, son représentant pourrait, à son avis, se borner à confirmer ce que tout le monde sait, à savoir que la Suisse entend recouvrer sa neutralité intégrale et être, par conséquent, soustraite aux obligations de la nature de celles que stipule l’article 16. Cette réaction de M. Avenol, dont M. Motta et vous-même connaissez les dispositions favorables quant à la neutralité de la Suisse, m’a, je l’avoue, assez fortement impressionné, aussi ai-je tenu à vous en communiquer la substance sur-le-champ. Je vous donnerai naturellement par téléphone tous éclaircissements sur les points de cette relation qui pourraient vous paraître obscurs ou incomplètement développés. Je serai naturellement très heureux de pouvoir rassurer M. Avenol qui m’a paru assez impressionné des dégâts que la thèse suisse pourrait encourir du fait de l’interprétation que l’on donnera, à l’étranger, aux dépêches d’hier soir. A la fin du texte, P. Bonna a noté de sa main: J’ai téléphoné à 21 heures à M. de Haller pour le remercier de sa lettre et le mettre au courant de la situation dont son entretien avec M. Avenol ne constitue qu’un épisode. Nous sommes convenus: 1. qu’il ne fera pas de démarches spéciales pour renouer la conversation. 2. quand M. Avenol prendra l’initiative de lui en reparler, il lui dira qu’il nous a rendu compte de son entretien et que nous avons pris note de son avis, que le Conseil fédéral n’a pas encore arrêté définitivement les instructions du délégué de la Suisse au Comité des XXVIII, mais qu’il semble d’emblée exclu que la Suisse puisse renoncer à son droit d’exprimer franchement son opinion dans un comité dont elle fait partie. Cette opinion est connue et nous ne pouvons «lâcher» les Etats dont les points de vue sont analogues aux nôtres.↩