Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.2. LES ASSEMBLÉES GÉNÉRALES DE LA SdN
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 133
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#28* | |
Dossier title | Procès-verbaux de la Délégation suisse (1937–1937) | |
File reference archive | E.13.12 |
dodis.ch/46393 Procès-verbal de la dixième séance, du 23 septembre, de la Délégation suisse à la XVIIIe Assemblée de la Société des Nations1
M. Motta ouvre la séance en donnant la parole à M. Stucki.
M. Stucki expose la question des matières premières, problème qui est en rapport avec les revendications coloniales allemandes. Samuel Hoare avait dit, en 1935, que l’on ne saurait attribuer des colonies à l’Allemagne, mais que la Société des Nations pourrait examiner la question de l’accès aux matières premières. Cependant, ni l’Allemagne, ni l’Italie n’ont répondu à l’invitation lancée, l’année dernière, par la commission instituée à cet effet par le Conseil. Le Japon, en revanche, y a pris une part active, surtout en ce qui a trait à l’acquisition de nouveaux débouchés. La Pologne a envisagé la question également au point de vue démographique. M. Schacht a dit à M. Stucki que les matières premières sont une question vitale pour l’Allemagne.
La Suisse bat le record au point de vue de la carence de matières premières. M. Stucki fut désigné comme président de la commission. Il estime que le gros problème à cet égard est celui du paiement, les colonies ne fournissant qu’une partie infime des matières premières nécessaires. En outre, la distance excessive entre la métropole et la mer empêche l’exploitation efficace des colonies quant à la production des matières premières.
L’Allemagne a toujours soutenu l’idée qu’une meilleure distribution des matières premières suppose une répartition territoriale nouvelle. L’Angleterre s’est émue de ces revendications. La tension politique entre le Japon, l’Allemagne et l’Italie et les autres pays s’est accrue depuis. La commission a exposé que la Société des Nations ne saurait venir en aide à des pays qui ne mettent leurs matières premières qu’au service du réarmement. Les Russes ont même proposé une sorte de blocus des matières premières contre les trois pays précités, en vertu de l’article 16. L’Angleterre et la France n’ont pas combattu ce point de vue. M. Stucki, en sa qualité de président, avait la tâche délicate de faire comprendre qu’il ne saurait être question d’appliquer l’article 16 alors que ses conditions ne sont pas réunies. M. Rist lui a donné raison, mais sans le dire au cours des débats. M. Rosenblum a manifesté son mécontentement à l’égard de l’attitude passive de la commission. Les Russes reviendront à la charge et, vu l’attitude des grandes puissances, la Suisse serait seule à faire opposition. Si les Russes agissent de la sorte, nous devrions faire comprendre à la 2e commission qu’elle ne saurait se prononcer à l’égard d’un problème posé ainsi sur le plan politique.
Les questions envisagées sont les suivantes: contingentements, contrôle des devises, monopoles, barrières douanières. La raison qui empêche l’Allemagne d’obtenir les matières premières nécessaires résidant dans le contrôle des devises, les Anglais estiment que la commission devrait recommander à l’Allemagne d’aligner sa monnaie et ses devises. M. Stucki a vivement combattu cette conception très naïve. Ce n’est pas le moment d’engager l’Allemagne dans la voie de la dévaluation, qui pourrait être funeste pour nous. Le délégué hollandais a soutenu M. Stucki.
M. Rappard estime que nous devrions lutter contre les systèmes préférentiels entre métropoles et colonies. Les Anglais désirent ouvrir le marché allemand en réduisant les barrières douanières.
M. Klôti ne pense pas que la Suisse doive assumer la mission de combattre les propositions russes, ce qui serait interprété comme une défense du point de vue fasciste.
M. Motta prie M. Klôti de se borner à des considérations d’ordre objectif.
M. Meile croit que M. Klôti s’exagère le danger d’une attitude de la Suisse telle que l’a définie M. Stucki. En tant que neutres, nous devons insister pour que la 2e commission n’aborde pas la question du point de vue politique, mais du point de vue économique.
M. Motta explique à M. Klôti que la Suisse peut très bien réagir contre la légende qui nous fait passer pour un pays à tendance fasciste. Il approuve pleinement l’attitude de M. Stucki. Ceux qui nous accusent d’être réactionnaires doivent être détrompés. La Suisse doit avoir le courage d’exposer le point de vue de l’objectivité. La réserve serait, à l’égard du point de vue soviétique, une lâcheté.
M. Rappard pense que pour combattre la légende susvisée, il faut en éviter toute apparence. Il convient donc que nous nous bornions au domaine technique.
M. Motta précise que nous devons insister pour que l’on ne mêle pas la politique aux débats d’ordre économique.
M. Stucki signale qu’il a été nommé président par la commission et qu’il a défendu le point de vue neutre sous sa propre responsabilité. A la 2e commission, en revanche, il parlerait au nom de la Suisse. Il est d’ailleurs évident que nous ne saurions soulever la question du point de vue soviétique. Mais si l’on demande à la commission de désigner l’Allemagne et l’Italie comme pays agresseurs à propos du problème des matières premières, nous devons insister sur les termes de l’article 16 et éviter que les débats techniques ne deviennent des tremplins pour la propagande politique. Nous ne faisons en cela que travailler dans le sens de l’universalité.
Le rapport constate que, dans divers pays, les devises sont absorbées à concurrence de 80% pour le réarmement; il ne reste donc que 20% pour l’alimentation. Rien ne s’oppose à ce que nous exposions notre point de vue à cet égard. Ces constatations sont d’ordre objectif.
M. Klôti répète que la petite Suisse ne lui paraît pas appelée à combattre la thèse soviétique.
M. Motta est heureux que M. Stucki l’ait fait et se propose de le faire, le cas échéant, à la 2e commission. Si M. Stucki est rapporteur, il a le devoir de redresser certaines erreurs. S’il n’est pas rapporteur, un acte de courage de notre part ne pourrait être qu’à l’honneur de notre pays.
M. Rappard pense que la situation de M. Stucki serait plus aisée s’il était rapporteur. Il exposerait alors le point de vue de la Société des Nations, non pas celui de la Suisse.
M. Gorgé aborde ensuite la question de la séparation du pacte des traités de paix. Le comité institué l’année dernière pour la mise en œuvre des principes du pacte. L’Angleterre n’avait pas présenté d’observations écrites. Mais M. Eden a donné la réponse britannique à la tribune. C’est alors que l’idée de la séparation du pacte des traités de paix a surgi.
Le Comité des 28 s’est réuni en décembre. M. Gorgé a l’impression que l’Angleterre cherche à être agréable à l’Allemagne. Au Comité des juristes (10 membres) institué par le Comité des 28, l’Autriche a adopté une attitude énergique dans le sens de la séparation. Souvent, le Comité a failli se trouver dans une impasse. La Petite Entente s’est opposée à l’emploi même du mot séparation. M. Pella a reconnu que le pacte a une existence séparée, mais ne veut pas qu’on le dise. L’accord s’est fait sur la procédure: il faudrait recourir à l’amendement, la résolution étant certainement insuffisante. On s’est donc attaché à «expurger» le pacte de ses références aux traités de paix. L’Autriche et le Chili ont proposé, outre l’amendement, l’adoption d’une résolution constatant que le pacte a une existence séparée, une vie propre. Opposition de M. Pella. Quant au point de vue suisse, M. Gorgé a fait observer que les traités de paix sont pour nous res inter alios acta, à quoi M. Basdevant a répliqué que la Suisse n’en a pas moins profité.
La proposition du Chili a été renvoyée au Comité des 28. Celui-ci sera autorisé par le bureau de l’Assemblée à saisir l’Assemblée du rapport sur la séparation, qui contient les projets d’amendements et de résolutions.
M. Motta constate une tension des esprits dans tous les domaines. Elle s’atténuera peut-être à la suite d’entretiens franco-britanniques. La séance est levée à 10 heures.
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