Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 16
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1551#228* | |
Dossier title | A Prato Carlo (1936–1938) | |
File reference archive | A.15.47.11 |
dodis.ch/46276
Le président (M. Wellington-Koo - Chine) rappelle à ses collègues que le 21 janvier 1937 les représentants de l’Association des journalistes accrédités se sont rendus auprès de lui et lui ont remis un mémorandum dont copie a été communiquée à chacun des membres du Conseil.
Il résume brièvement le contenu de ce mémorandum. Il s’agit des préoccupations causées aux journalistes accrédités auprès de la Société des Nations par les récentes décisions qu’ont prises les autorités cantonales genevoises et les autorités fédérales à l’endroit de M. a Prato, rédacteur au Journal des Nations et correspondant du New York Times. M. a Prato, de nationalité italienne mais sans papiers réguliers, était accrédité auprès de la Société des Nations depuis 1926; il bénéficiait d’un permis de tolérance renouvelable tous les deux ou six mois. Le 27 août 1936, son permis avait été prolongé d’une année, soit jusqu’à la fin août 1937; or, en décembre 1936, les autorités cantonales genevoises ont avisé M. a Prato que son permis de séjour lui était retiré et ne serait pas renouvelé. Il était en même temps invité à quitter le canton de Genève. Par la suite, le 9 janvier 1937, les autorités fédérales ont étendu l’interdiction de séjour à tout le territoire de la Confédération.
Le mémorandum pose ensuite la question générale de la situation des journalistes accrédités à Genève et demande l’appui du Conseil de la Société des Nations pour que lesdits journalistes accrédités obtiennent:
1) des assurances4 permettant à tout journaliste régulièrement accrédité d’exercer librement sa profession au siège de la Société des Nations;
2) un statut qui définirait leur situation et qui serait reconnu par le Secrétaire général et par les autorités suisses.
Le Président ajoute qu’en date du 23 janvier, il a reçu de l’Association des journalistes accrédités une nouvelle lettre accompagnée d’une résolution. Cette dernière communication n’apporte pas d’éléments nouveaux et la résolution se borne à souligner les deux points sus-indiqués.
Ainsi, les journalistes accrédités ne demandent pas au Conseil de s’occuper du cas a Prato. C’est la question générale des conditions d’exercice5 de leur profession à Genève qu’ils lui soumettent. Il est évident qu’il existe parmi les journalistes accrédités un certain malaise6 et, si l’on considère le rôle extrêmement important que joue la presse en relation avec les travaux de la Société des Nations, il serait fort utile de remédier, si possible, à cette situation. Il s’agit donc de déterminer ce que le Conseil peut faire en l’occurrence et, s’il peut faire quelque chose, comme[nt il peut le faire. Le Président serait heureux d’avoir l’avis de ses collègues à ce sujet et c’est la raison pour laquelle il les a invités à cet échange de vues.
M. Jordan(Nouvelle-Zélande) désirerait savoir quels ont été exactement les motifs invoqués à l’appui du retrait du permis de séjour de M. a Prato. Les plaintes formulées contre ce journaliste visaient-elles les informations transmises par lui à des journaux étrangers, par exemple au New York Times, ou, au contraire, les articles publiés par lui dans un journal paraissant en Suisse?
Le président répond que ni les autorités genevoises ni les autorités fédérales n’ont indiqué de faits précis7 à l’appui de leur décision. Elles se sont bornées à déclarer que M. a Prato ne s’était pas conformé aux conditions auxquelles était subordonnée son autorisation de tolérance.
M. Komarnicki(Pologne) déclare que personne, et lui moins que tout autre, ne conteste les principes formulés dans le mémorandum de l’Association des journalistes. Toutefois, il croit qu’il serait impossible de poursuivre utilement la discussion du problème soulevé par l’Association des journalistes sans entendre le point de vue des autorités suisses, ne serait-ce que par déférence pour un pays dont la Société des Nations est l’hôte. Comme il s’agit d’un échange de vues tout à fait privé entre les membres du Conseil, M. Komarnicki pense qu’il n’y aurait aucune difficulté à inviter à titre officieux un représentant du Gouvernement suisse qui pourrait exposer les raisons invoquées par les autorités cantonales et fédérales.
Le Secrétaire général croit devoir préciser que le mémorandum remis au Président et distribué ensuite aux membres du Conseil avait tout d’abord été apporté au Secrétaire général par les représentants de l’Association des journalistes. Au cours de la conversation, ceux-ci ont expliqué au Secrétaire général leurs intentions. Le mémorandum comprend deux éléments: dans une première partie, les journalistes exposent un cas particulier qui les a frappés et qui a fait naître parmi eux des inquiétudes pour l’avenir; dans une seconde partie, ils soulèvent la question générale des assurances que les journalistes peuvent obtenir afin d’être certains qu’à l’avenir les décisions que pourraient prendre à leur endroit les autorités suisses seront entourées de toutes garanties.
Le cas particulier qu’ils exposent constitue simplement une explication de leur démarche. Ils ne demandent au Conseil ni de critiquer ni de réviser la décision prise par les autorités suisses compétentes. Le problème qu’ils soulèvent est de savoir s’il est possible de doter d’un statut les journalistes étrangers qui vivent à Genève et qui, par suite, se trouvent au bénéfice d’une autorisation de séjour toujours révocable. Telle est, en bref, la question d’intérêt général dont le Conseil est actuellement saisi.
M. Litvinoff(U.R.S.S.) s’abstiendra, après les explications données par le Secrétaire général, de parler du cas a Prato. Il s’agit, en effet, d’une question d’ordre général. Il souligne le grand intérêt que présente pour la Société des Nations et ses Membres le rôle des journalistes. Les représentants des Etats membres assemblés à Genève ne travaillent pas dans le désert, ils travaillent entourés de journalistes et de correspondants. Or, dans la presse, ce sont les journaux de Genève qui sont les premiers à formuler des réflexions sur l’activité des Membres de la Société; ceux-ci ont donc intérêt à ce que les déclarations et les opinions de leurs représentants soient exposées d’une manière impartiale. Pour sa part, M. Litvinoff considère que la presse locale est bien loin d’être impartiale; elle représente non pas l’esprit de la Société des Nations en général, mais bien plutôt les vues de certains pays absents de la Société des Nations8
. La question se pose de savoir si les journaux de cette tendance doivent jouir à Genève d’un monopole9 à l’exclusion des autres journaux. La décision prise contre M. a Prato constitue, dans la pratique, une tentative en vue de supprimer la possibilité pour un journal à Genève de représenter l’esprit de la Société des Nations. Il faut se demander si l’on doit permettre cet état de choses ou si, au contraire, on ne peut pas essayer d’obtenir une certaine liberté de la presse à Genève10, siège de la Société des Nations.
M. Komarnickiconstate que les membres du Conseil sont d’accord pour examiner, en dehors de tout cas concret, la question du statut de la presse internationale à Genève. Pour poursuivre utilement la discussion, il serait indispensable de connaître l’état actuel des choses, et M. Komarnicki serait heureux d’entendre à ce sujet le Secrétaire général.
M. Litvinoff a dit que les journaux locaux ne sont pas impartiaux; mais, de l’avis de M. Komarnicki, la presse n’est jamais impartiale. A sa connaissance, les journaux sont toujours plus ou moins affiliés à un parti politique. Veut-on donc créer un organe de presse impartial? Ce serait peut-être aller trop loin. En tout cas, il faut voir quelle est la situation juridique actuelle.
Par ailleurs, si l’on voulait modifier les conditions qui existent actuellement, il faudrait recueillir l’avis de tous les Membres de la Société des Nations, car tous sont intéressés à cette question, et en particulier le Gouvernement suisse, sur le territoire duquel se trouve le siège de la Société des Nations. De plus, ce serait un manque de déférence de ne pas inviter la Confédération helvétique à participer à ces délibérations; puisqu’il s’agit d’un simple échange de vues entre les membres du Conseil, rien n’empêcherait une discussion franche, selon les habitudes de la Société des Nations, avec un représentant du gouvernement local, dès le présent stade de l’étude de la question.
M. Delbos(France) reconnaît qu’il est indispensable d’étudier le problème général de la situation des journalistes à Genève. Il y a là une question de principe à trancher. C’est bien évidemment à la Société des Nations qu’il appartient de la trancher, tout en tenant compte, cela va de soi, du point de vue du Gouvernement suisse. Néanmoins, il est impossible de subordonner l’action et le rayonnement de la Société des Nations à l’approbation de la Suisse11. M. Delbos ne voit pas d’inconvénient à ce que l’on entende un représentant de la Suisse qui exposera les vues des autorités locales et les raisons de leur attitude; mais, à ses yeux, ce qui doit primer c’est l’opinion de la Société des Nations dans son ensemble.
M. Delbos juge inadmissible que ce soient les pays hostiles à la Société des Nations qui aient, ou paraissent avoir, seuls un droit de contrôle sur les journaux qui parlent des travaux de la Société des Nations12.
Il est incontestable qu’il y a des pays qui sont l’objet de campagnes violentes de la part des journaux suisses. Ceux-ci ont toute latitude pour attaquer la Société des Nations et ses membres fidèles, et seuls les journaux hostiles à la Société des Nations semblent bénéficier de la tolérance de certaines autorités suisses13. M. Delbos demande que la balance soit tenue plus égale et que l’on tienne compte aussi des opinions de la Société des Nations et des pays fidèles à celle-ci.
M. Munters(Lettonie) fait observer qu’il est impossible de dissocier les deux aspects du problème. On se trouve en effet en présence d’un cas spécial, celui de M. a Prato, et, selon le mémorandum, c’est la première fois qu’un cas de ce genre se produit à Genève. C’est donc en quelque sorte un «test case». Il semble que les motifs qui ont justifié le retrait de l’autorisation de séjour soient d’ordre intérieur, puisqu’il est dit que le «Journal des Nations» aurait publié des articles et des informations susceptibles de gêner la politique extérieure de la Suisse.
On se trouve en présence d’un double problème car M. a Prato n’était pas uniquement correspondant de journaux étrangers, mais il était aussi rédacteur d’un journal local. Il faut donc se demander, d’une part, s’il est possible d’établir un statut des journalistes étrangers à Genève, et, d’autre part, s’il est opportun pour le Conseil d’exprimer une opinion sur l’attitude de la presse suisse.
Dans les deux cas, il apparaît à M. Munters que rien ne peut être fait qu’avec le plein accord des autorités suisses. Dans le premier cas, en effet, il s’agirait d’un statut applicable sur le territoire suisse, et dans le second cas on ne saurait discuter la question hors de la présence d’un représentant du Gouvernement suisse.
M. Litvinoffreconnaît qu’il n’y a pas de journaux impartiaux, mais pour lui l’impartialité naît de la coexistence de journaux représentant des tendances différentes.
En ce qui concerne le concours d’un représentant de la Suisse à l’étude du problème, M. Litvinoff en admet l’utilité. Néanmoins, il souligne que les membres du Conseil ont le droit de se réunir et d’échanger des vues en l’absence de tiers, et à son sens c’est par là qu’il faut commencer.
Revenant sur les observations de M. Munters, M. Litvinoff fait observer que le cas a Prato n’est peut-être pas vraiment le premier cas de suppression de la liberté de la presse, et, de toute façon, il craint pour l’avenir14. M. a Prato s’est vu retirer son autorisation de séjour non pas parce qu’il avait commis des actes illégaux, mais parce qu’il avait exposé certaines vues relatives à la politique extérieure ne touchant pas la Société des Nations. De l’avis de M. Litvinoff, il n’existe pas de politique étrangère qui n’intéresse pas la Société des Nations. En terminant, il déclare qu’il n’est pas équitable de donner à la presse d’une certaine tendance toute liberté sans donner la même liberté à la presse représentant d’autres tendances.
M. Alvarez del Vayoest d’accord avec M. Delbos et M. Litvinoff15. Les autorités suisses ont pris une sanction contre un journal qui s’est toujours fait le défenseur des principes de la Société des Nations, tandis que d’autres journaux suisses peuvent en toute liberté se livrer à des insultes du plus mauvais goût contre des pays étrangers, et notamment contre l’Espagne16.
Journaliste lui-même, M. Alvarez del Vayo a le sentiment très net qu’il est impossible aux journalistes de travailler librement sous la menace de telles sanctions. Il faut doter les journalistes accrédités d’un statut, et c’est là une question que la Société des Nations peut régler sans le concours de la Suisse. Une fois le statut des journalistes établi par le Conseil, ce dernier se mettrait en rapport avec les autorités suisses pour conclure un arrangement, mais il faut faire vite car tout retard ne peut qu’accroître le malaise qui règne parmi les journalistes travaillant à Genève. Ce sont pour la Société des Nations de précieux collaborateurs qui méritent l’appui sans réserves de la Société des Nations.
M. Eden(Royaume-Uni) constate tout d’abord qu’il ressort du mémorandum des journalistes et des explications du Secrétaire général que les membres du Conseil ne sont pas appelés à s’occuper du cas personnel de M. a Prato.
En ce qui concerne la presse locale, il n’attache pas à celle-ci autant d’importance que certains de ses collègues. Il doit avouer qu’il lit peu les journaux genevois17. Il ne croit pas, d’ailleurs, que les vues sur la Société des Nations passent à l’étranger par l’intermédiaire de la presse suisse. Ce sont les correspondants à Genève des grands journaux du monde entier qui font connaître à l’étranger l’activité de la Société. C’est donc envers ceux-ci et envers ceux qui lisent leurs articles que la Société des Nations a des devoirs. C’est là la vraie question et c’est celle que le Conseil doit étudier.
A cet effet, M. Eden propose la constitution d’un petit Comité du Conseil qui serait chargé:
1) d’examiner s’il y a lieu de consulter le Gouvernement suisse au sujet de l’affaire en discussion et
2) de procéder sur l’ensemble de la situation à une étude plus ample que celle à laquelle le Conseil pourrait se livrer aujourd’hui.
En terminant, M. Eden souligne qu’à son avis il est clair que le devoir du Conseil est de défendre les journalistes correspondants de la presse mondiale contre des attaques injustifiées.
M. Sandler(Suède) insiste sur le grand intérêt qu’il y a pour la Société des Nations à aboutir à un arrangement avec les autorités suisses sur le problème général de la situation des journalistes accrédités.
En ce qui concerne la procédure à suivre, il se rallie à la proposition de M. Eden.
M. Komarnicki(Pologne) s’associe aux observations de M. Sandler. Il estime lui aussi désirable qu’un arrangement intervienne entre les intérêts généraux de la Société des Nations et certains intérêts particuliers à la Suisse. Cet arrangement lui paraît tout à fait réalisable. Etant donné la suggestion de procédure qui a été faite et à laquelle il donne son adhésion, M. Komarnicki croit inutile de poursuivre ici la discussion sur le fond de la question.
Le Président, résumant la discussion, constate qu’il apparaît clairement qu’une étude approfondie du problème est indispensable. Les membres du Conseil sont unanimes à reconnaître que les journalistes accrédités auprès de la Société des Nations doivent jouir de certaines garanties.
La proposition de M. Eden visant la procédure est adoptée.
Le Président, après avoir consulté le Secrétaire général, fera ultérieurement à ses collègues des propositions sur la composition du Comité du Conseil.
- 1
- Aucune indication ne figure sur le document au sujet de la voie qu’il a empruntée pour parvenir à Berne. Sur un autre document de ce genre concernant la même question, Gorgé a simplement écrit: Nous a été remis confidentiellement (E 2001 (D) 4/46, pièce No 16).↩
- 2
- On trouve quelques mots sur ce type de réunion au No 17.↩
- 3
- (Copie): E 2001 (D) 1/9.↩