Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
15. Italie
15.7. Questions politiques générales
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 108
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1535#1493* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1535 162 | |
Dossier title | Italie / Vatican (1935–1936) | |
File reference archive | B.56.14.3.a |
dodis.ch/46029
Comme j’ai eu l’honneur de vous l’écrire dans ma lettre d’hier2, j’ai été reçu hier soir par le Chef du Gouvernement. Il m’a retenu chez lui 45 minutes.
J’ai commencé par lui dire que je vous avais informé de ma demande d’audience et que vous m’aviez chargé de lui présenter vos salutations personnelles, ainsi que votre désir de le voir continuer à employer toute son influence pour empêcher les complications les plus graves.
Je m’efforce de vous résumer aussi exactement que possible ce qu’il m’a dit à ce sujet, après m’avoir chargé de vous remercier de votre message.
La situation est, en effet, des plus inquiétantes et cela par la faute des Parlements. Le Duce paraît croire que ce sont les discussions parlementaires qui ont retardé et finalement empêché l’exécution de son fameux pacte à quatre3, qui aurait assuré à l’Europe une période de tranquillité. «Maintenant, a-t-il dit, il est impossible de revenir en arrière. Les conversations de Berlin n’ont abouti à rien. Les Ministres anglais4 s’en vont les mains vides. Hitler maintient non seulement sa décision de réarmement5, mais ses revendications les plus périlleuses concernant l’Autriche et aussi le corridor polonais».
Le Duce est convaincu de la volonté de guerre de l’Allemagne. Elle est formidablement armée et elle le sera encore plus dans deux ans.
Je ne lui ai pas rapporté les bruits que j’avais recueillis sur son intention de proposer une action militaire immédiate afin de prévenir le réarmement complet du Reich. Il ne pouvait naturellement pas me confier l’attitude qu’il compte avoir à la conférence de Stresa6. Il s’est borné à dire que si l’Allemagne voulait entrer en guerre, elle pourrait le faire dès maintenant avec des chances de succès. L’armée russe ne compte pour rien, malgré le chiffre énorme des divisions qu’elle aligne sur le papier. Elle n’a pas de généraux depuis qu’elle a perdu les provinces baltiques qui lui fournissaient des Rennenkampf. L’Allemagne continue à fabriquer journellement des avions de plus en plus forts, de plus en plus grands. Elle peut procéder à l’invasion de territoires voisins, non pas par le terrain, mais verticalement par les airs. On a déjà des avions qui transportent 30 personnes; demain ce sera 60. Mille avions peuvent transporter dans la nuit, au centre de la France, une division.
«Les Allemands qui ont déjà fait la guerre, m’a-t-il dit, manquent peut-être d’enthousiasme, mais les jeunes sont pleins d’ardeur et ne demandent qu’à par
le lui ai rappelé ce qu’il m’avait dit dans notre dernier entretien7 au sujet des dangers auxquels la Suisse était exposée. Il en est toujours convaincu. J’ai ajouté qu’il me revenait d’autre source que la Suisse, en cas de conflagration générale, courait des risques au sud et à l’ouest; que je n’attachais à ces bruits aucune importance, sachant que c’est le métier des états-majors d’envisager toutes les éventualités et qu’il pouvait s’agir d’un projet élaboré simplement par des officiers.
Il m’a déclaré qu’il considérerait une violation de la neutralité suisse, non seulement comme un crime, mais comme une faute et une absurdité. «Nous n’avons pas besoin de passer par le territoire suisse; nous avons la route du Brenner, la plus facile et la plus directe». Il m’a dit cela en tapant sur la table et en roulant des yeux dont l’expression peut être terrible. Notez qu’il avait lu l’article «Gewitter über den Alpen»8; rien ne lui échappe. Je lui ai encore rappelé ce qu’il m’avait dit de la propagande naziste en Suisse, en lui faisant observer qu’aucun journal, aucune publication n’ont soutenu jusqu’ici l’action d’Hitler. J’ai cherché à lui définir ce que nous entendons par l’helvétisme, œuvre de siècles de vie commune et trait d’union entre les divers éléments de notre pays. Il m’a écouté avec beaucoup d’attention et sans objection. Nous avons parlé d’autres choses et aussi du Japon, dont l’action est chaque jour plus envahissante dans le domaine économique. Je vous écris des lettres séparées sur les autres sujets que j’ai traités avec lui. Je résume mes impressions sur la situation en général qui lui paraît extrêmement troublée. Les perspectives de solutions pacifiques s’évanouissent l’une après l’autre. Espérons que la conférence de Stresa nous apportera des lumières plus rassurantes.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 5/162. Annotation marginale de Motta: Très confidentiel. Très intéressant. 1.4. 35.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Signé le 15 juillet 1933 entre l’Italie, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Cf. DDS vol. 10, nos 266 (dodis.ch/45808), 279 (dodis.ch/45821) et 290 (dodis.ch/45832).↩
- 6
- Elle aura lieu du 11 au 14 avril. Cf. à ce propos la lettre de G. Wagnièreà G. Motta, du 20 avril: Afin de recueillir des impressions de Stresa, je suis donc allé voir M. Suvich, qui avait assisté à toute la conférence et en avait rapporté la meilleure impression, particulièrement heureux de l’attitude de l’Angleterre, dont on doutait jusqu’au dernier moment. M. Suvich m’a renouvelé les considérations que vous savez sur la nécessité d’opposer à l’Allemagne un bloc compact de puissances. Pas plus que le Duce, il ne paraît avoir grande confiance dans une action de la Russie. Néanmoins, il juge nécessaire de constituer ce bloc européen, qui garantira la paix aussi longtemps que l’Allemagne ne pourra pas mettre sur pied des forces supérieures. Je lui ai fait observer que tout essai d’encerclement de l’Allemagne peut provoquer la guerre. l’Allemagne ne peut pas se laisser encercler, et Hitler peut imposer l’idée de la guerre à la nation allemande précisément pour cette raison du danger mortel qui la menace. Elle a usé de cet argument en 1914.[...] M. Suvich partage les idées que son chef m’avait récemment exposées. l’Allemagne veut la guerre. Hitler saura l’imposer à la nation. Toutes les concessions qu’on a pu faire à l’Allemagne n’ont servi qu’à augmenter ses prétentions: plus on lui accorde, et plus elle demande. La guerre est fatale. Je vous rappelle que dans ces mêmes sphères officielles on tenait, il y a un an, un tout autre langage. Il me revient d’autre source qu’on a beaucoup parlé de la guerre durant toute cette conférence. M. Mussolini a exposé ses idées, mais brièvement. Ce n’est pas lui qui a parlé le plus. Il a présidé avec son autorité habituelle, résumant avec clarté les propos des divers orateurs. (J.1.135/2)↩
- 7
- Cf. no 83.↩
- 8
- Paru dans le numéro de mars 1935 de la revue allemande Die Tat, et signé du pseudonyme de Severus. La lecture de cet article avait inspiré au ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, les considérations suivantes exprimées dans une lettre au DPF du 27 mars: C’est avec la plus grande attention que j’ai pris connaissance de cet article dont l’auteur n’est assurément pas mal renseigné sur certains problèmes de notre politique étrangère qui gardent toujours leur actualité. Les conséquences que Severus tire de prémisses en partie incontestables sont évidemment souvent fantaisistes et tendancieuses. Je retiens comme un symptôme inquiétant les allusions continuelles aux velléités de pénétration de Puissances autres que l’Allemagne sur notre territoire, ainsi que l’hypothèse développée par Severus d’un passage à travers la Suisse. Ne s’agit-il pas là précisément d’une nouvelle tentative de justifier par avance une soidisant «défense» du Reich sur notre territoire? De toute manière, il serait fort intéressant d’apprendre qui est le véritable auteur d’un article qui, dans sa conception et d’après son style, rappelle certaines publications du diplomate allemand connu sous le nom de plume de J. J. Ruedorffer (l’auteur de «Grundzüge der Weltpolitik» et d’autres ouvrages) (E 2001 (C) 4/46).↩
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