Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 42
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.19-01#1000/1722#107* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.19-01(-)1000/1722 1 | |
Dossier title | Fascisme suisse (correspondance avec le département Politique), 1 (1934–1934) | |
File reference archive | 1.C.1 |
dodis.ch/45963
Nous avons eu l’honneur de recevoir votre lettre du 2 juin2 et nous vous en remercions vivement. Nous nous félicitons, d’autre part, de ce que M. Rezzonico ait pu venir lui-même rendre compte à Berne de la mission qu’il a accomplie à Milan3 et dont il s’est acquitté avec beaucoup de zèle et de tact.
Les observations faites par M. Rezzonico, qu’il vous aura sans doute exposées de façon circonstanciée, nous paraissent conduire aux conclusions suivantes:
1° Le profond désarroi causé au sein de la colonie suisse en Lombardie par la création des fasci svizzeri et par le rattachement à ce mouvement d’une personnalité aussi en vue que celle de M. Otto Bühler est d’ordre exclusivement psychologique. Il ne semble pas que les calomnies que les séides du Colonel Fonjallaz ont répandues contre leurs adversaires aient exposé qui que ce soit à des difficultés réelles avec les Autorités italiennes. Il ne semble pas non plus que les fascisti svizzeri aient réussi jusqu’ici à tirer un avantage matériel quelconque de l’attitude qu’ils ont prise. Il est constant, en revanche, que les provocations quotidiennes des faisceaux suisses et aussi la réaction souvent maladroite et excessive de ceux qui ont cherché à tenir tête à ce mouvement ont monté, de part et d’autre, les esprits à un degré d’excitation qui est en lui-même un danger. En présence de cette situation, M. Rezzonico a pris l’attitude qui convenait, à notre avis, le mieux: Il a pris contact avec toutes les notabilités de la colonie, a eu des conversations avec chacun, a combattu les exagérations et s’est efforcé de ramener autour de lui le calme et la bonne humeur. M. Rezzonico pense y avoir réussi et nous sommes convaincus que l’intérêt et la compréhension qu’il a témoignés à ses interlocuteurs étaient, en effet, le meilleur antidote contre l’exaltation qu’il a trouvée parmi nos compatriotes. Il serait probablement téméraire, en revanche, d’espérer qu’un tel remède puisse avoir une action durable et il conviendrait sans doute d’étudier de quelle façon il pourrait être administré à nouveau au cours de l’été.
2° M. Rezzonico a recueilli dans tous les milieux de la colonie suisse à Milan l’expression d’un très vif désir de voir le Consulat transformé en Consulat général de carrière. Vous savez que ceci répond à nos intentions et que nous songeons, pour occuper ce poste, à M. Giacomo Balli, actuellement Conseiller de Légation à Madrid. Nous prenons dès maintenant les mesures nécessaires en vue de la réalisation de cette idée, qui, ainsi que vous le comprendrez sans peine, ne peut être exécutée d’un jour à l’autre, surtout au début de la période des vacances et à la veille du moment où M. Balli devra faire fonction de Chargé d’Affaires en Espagne.
M. Rezzonico fait observer à cet égard que, même si le titulaire du futur Consulat général de Suisse à Milan ne peut immédiatement prendre possession de son poste, il serait désirable qu’une décision de principe intervînt à très bref délai afin de couper court aux intrigues des notabilités qui se jugeraient qualifiées pour succéder à M. Hüni en qualité de Consul honoraire et pour donner à la colonie suisse de Milan une nouvelle preuve tangible de l’intérêt que le Conseil fédéral porte à son sort. Cette solution nous paraît mériter un sérieux examen. Nous en voyons les avantages. Nous voyons aussi qu’elle aurait vraisemblablement pour conséquence d’entraîner la démission immédiate de M. Hüni et de laisser le Consulat sans titulaire pendant deux ou trois mois. Avant de fixer notre décision, nous attacherions du prix à connaître votre opinion à cet égard.
3° Les conversations que M. Rezzonico a eues avec le Préfet de Milan, ainsi que les constatations qu’il a faites sur place, confirment que les Autorités administratives italiennes ont appliqué, sans zèle mais de façon correcte, les ordres du Chef du Gouvernement concernant l’attitude à prendre à l’égard des fascisti svizzeri4.
Bien qu’elles n’aient rien fait pour empêcher les faisceaux suisses de faire de la propagande auprès de nos compatriotes habitant des localités d’importance secondaire, ce qui permet à ces derniers de se vanter de la création de nombreux fasci nouveaux, elles ont empêché pourtant la constitution d’un fascio svizzero à Gênes.5 Encore que la presse italienne parle trop souvent de l’activité du Colonel Fonjallaz et de ses amis et que le journal «La Sera» nous ait causé beaucoup d’ennuis par sa complaisance à reproduire et à commenter l’inqualifiable article du «Fascista svizzero»6, le mot d’ordre de ne pas faire de réclame au mouvement fasciste suisse a été, en gros, observé par la presse. Enfin, nous avons de sérieux indices que l’activité des fasci svizzeri est surveillée par la police et que le nécessaire serait fait pour prévenir de graves excès.
Ce que M. Rezzonico nous dit au sujet de l’état d’esprit des Autorités administratives corrobore l’impression que nous avons recueillie, il y a quelques semaines, d’une conversation avec M. le Consul Steinhäuslin: Les Autorités administratives semblent avoir compris ce qu’il y a d’artificiel et d’équivoque dans le mouvement fasciste suisse et ne l’encouragent pas, mais elles se bornent à observer, à l’égard d’un mouvement qui se réclame du fascisme, une neutralité prudente. Une attitude plus réprobatrice répondrait sans doute à nos vœux et aurait probablement pour effet de couper court aux intrigues qui nous causent tant d’ennuis. Mais nous ne pouvons compter sur une compréhension aussi agissante en présence de nos difficultés et la prudence commande sans doute de nous contenter de l’observation scrupuleuse de la neutralité qui vous a été promise.
4° Si nous ne pouvons guère demander des [sic] Autorités administratives du Royaume qu’elles fassent plus qu’elles n’ont fait jusqu’ici, il nous semble, en revanche, que nous serions fondés à obtenir que les organes du parti fasciste italien s’inspirent de la même réserve que les organes du Gouvernement.
M. Rezzonico a constaté l’effet produit au sein de la colonie suisse à Milan par l’hospitalité accordée aux «fascisti svizzeri» dans les locaux de la «Casa del fascio» de Milan, ainsi que par les échos de la réception faite à Florence, dans la «Casa del fascio», au Colonel Fonjallaz et à l’ingénieur Rezzonico de Lugano. Ces démonstrations de solidarité entre le fascisme italien et le fascisme suisse renforcent en Italie la propagande des fascisti svizzeri et compromettent en Suisse le parti gouvernemental italien. Ces manifestations devraient être évitées et c’est, à notre avis, ce qu’il conviendrait de demander à M. Mussolini au cours de l’entretien que vous envisagez d’avoir avec lui.7
Vous apprécierez mieux que nous à quel moment doit être demandé cet entretien, qui vous fournira sans doute l’occasion de reprendre avec le Chef du Gouvernement l’examen de l’ensemble d’une question dont les conséquences sur les relations italo-suisses en général ne devraient pas être sous-estimées du côté italien. A certains égards, il serait souhaitable qu’il eût lieu le plus vite possible pour prévenir de nouvelles manifestations publiques, dont l’effet est extrêmement fâcheux. Il importe cependant d’agir dans les meilleures conditions possibles et de tenter d’obtenir le maximum d’effet de conversations qui ne sauraient sans inconvénient être trop multipliées.
Il va sans dire que, si un nouvel entretien avec M. Mussolini vous montrait la possibilité d’obtenir de ce dernier un mot de désapprobation publique à l’égard d’intrigants qui, sans risques personnels et par des équivoques, cherchent à se parer du prestige que le parti au pouvoir en Italie a conquis de haute lutte, l’occasion devrait être saisie sans hésiter.
Nous n’avons pas besoin de vous demander de continuer à suivre de très près l’évolution de cette affaire et de nous tenir au courant de son développement, car nous savons qu’elle vous cause autant de souci qu’à nous. Nous voudrions bien plutôt observer que le malaise qu’il s’agit de combattre a sa source, non seulement dans les initiatives insuffisamment réfléchies du Colonel Fonjallaz et de ses amis, mais aussi dans les réactions trop fortes qu’elles ont provoquées dans les éléments plus raisonnables de notre colonie. Ce malaise se dissipera de lui-même, car le fascisme suisse n’est pas viable, dès que le sang-froid sera recouvré. Indépendamment de l’action destinée à empêcher les éléments de trouble de gagner du terrain, il importe donc de ne pas négliger les appels au calme et la lutte contre les exagérations. Il convient aussi de nous mettre nous-mêmes en garde contre le légitime énervement que causent les insolences et les gamineries d’aigris et de jeunes gens qui ne jugent pas la portée de leurs actes. L’attitude parfaitement digne et pleinement adaptée aux circonstances dont votre Légation ne s’est jamais départie la met à l’abri de toute critique fondée et lui permet de garder une entière sérénité devant une situation que le temps dénouera et que les vacances imminentes contribueront sans doute déjà à aplanir.