Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
2. La Suisse et l’admission de l’Union soviétique à la SdN
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 37
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1535#1022* | |
Dossier title | Russie (1934–1934) | |
File reference archive | B.56.15 |
dodis.ch/45958
[...]2Vous observez3 que, dans notre pays, la presse et l’opinion sont profondément divisées sur la question de savoir quelle attitude la Suisse devrait observer en présence d’une candidature soviétique.
Les arguments invoqués par les adversaires du bolchévisme sont assurément sérieux et méritent d’être examinés avec attention.
Ils ont raison, je crois, de prétendre qu’aucun Etat jusqu’à ce jour n’a trouvé dans l’établissement de relations officielles avec l’U.R.S.S. les avantages économiques qu’il se flattait d’en obtenir. L’exemple des Etats-Unis d’Amérique montre que le mouvement commercial susceptible de se développer entre la Russie des Soviets et un pays quelconque ne dépend point du fait que ce pays a ou n’a pas reconnu le régime auquel préside actuellement le camarade Staline, mais d’un ensemble de conditions purement économiques et, par conséquent, variables. Preuve en est que les Américains, à une époque où leur gouvernement ignorait celui de Moscou, ont réalisé en U.R.S.S. de très grosses affaires parce que les circonstances étaient favorables, mais que, d’autre part, le fait d’avoir envoyé un ambassadeur sur les rives de la Neva ne semble pas avoir amélioré, ces derniers temps, leur position sur le marché russe. La Suisse commettrait donc une erreur si elle s’imaginait (après tant d’autres victimes de la même illusion) que la reconnaissance des Soviets par le Conseil Fédéral ouvrira de nouveaux débouchés à ses industries d’exportation.
Mais, pour l’instant, il s’agit avant tout de savoir quel accueil le gouvernement de la Confédération devrait réserver à une demande d’admission de l’U.R.S.S. dans l’organisme international de Genève. Pour respecter les règles de la logique et de la science juridique, il faudrait exposer séparément ce problème et celui des relations qui pourraient s’établir dans la suite entre Berne et Moscou. Cependant, il saute aux yeux que, si les deux questions demeurent nettement distinctes sur le plan intellectuel, elles n’en font qu’une en pratique puisque les mêmes arguments pour et contre se retrouvent dans tous les débats qui s’instituent sur l’une et l’autre. C’est pourquoi, au risque de commettre des confusions au moins apparentes, j’ai cru pouvoir négliger, dans ces réflexions, les «distinguo» trop subtils.
Les appréhensions manifestées chez nous par les adversaires de l’U.R.S.S. sont surtout d’ordre politique et moral. Elles procèdent de convictions profondément respectables et il serait indécent de n’en pas tenir compte. Pourtant, on ne peut se défendre d’observer que ceux qui les formulent identifient de tous points l’actuel gouvernement de Moscou avec le Comité directeur de la IIIe Internationale. Cette vue, sans doute exacte il y a quelques années, ne semble plus tout à fait conforme à la réalité d’aujourd’hui. Si imparfaitement informés que nous soyons de ce qui se passe en Russie, nous ne pouvons guère contester qu’une évolution, à la vérité très lente et assez obscure, ne s’accomplisse, à l’intérieur comme en politique étrangère, dans les milieux qui gouvernent l’ancien empire des tsars. Le temps écoulé depuis l’avènement de Lénine suffit à expliquer les modifications survenues dans le personnel gouvernemental. A des changements de personnes, si lent qu’en soit le rythme, correspondent naturellement des variations de méthode. Il faut y ajouter les résultats de l’expérience acquise et les nécessités inéluctables d’une situation internationale que les Soviets n’ont pas créée mais à laquelle ils doivent, bon gré mal gré, se soumettre et s’adapter. Contraints par de graves périls extérieurs de se ménager dans le monde des appuis ou, tout au moins, des neutralités bienveillantes, les chefs actuels de l’U.R.S.S. ne peuvent plus être assimilés de tous points aux brutes sanguinaires qui massacrèrent en 19174 Nicolas II et sa famille. Il n’est plus certain aujourd’hui que le gouvernement de Moscou favorise comme il le faisait il y a quelques années la propagande révolutionnaire de la IIIe Internationale. En Roumanie, par exemple, l’activité des communistes, naguère encore considérée comme dangereuse et visiblement encouragée par des émissaires moscovites disposant de sommes importantes et de moyens puissants, semble aujourd’hui tout à fait négligeable. Il se peut que cet apaisement ne soit qu’une trêve: Moscou remercierait ainsi Bucarest des services rendus et de ceux que les Russes attendent encore des Roumains, mais n’hésiterait pas à reprendre la lutte pour la révolution le jour où la Roumanie se montrerait moins complaisante. Rien de tout cela n’est impossible, mais le fait subsiste que, pour l’instant, les sirènes bolchévistes ne chantent plus aux rives de la Dâmbovitza5. D’autre part, Tewfik Rouchdy Bey6, au cours de sa visite à Bucarest, a déclaré à plusieurs reprises, dans les termes le plus nets, que les liens d’amitié noués par la Turquie avec l’U.R.S.S. n’avaient à aucun moment exercé une influence quelconque sur la politique intérieure de la République ottomane. A cela, on peut objecter que des régimes autoritaires comme ceux qui existent à Ankara, à Berlin et à Rome sont mieux armés que les gouvernements démocratiques pour se défendre contre les idéologies communistes. Mais, sans revenir à la Roumanie, déjà citée, il faudrait examiner si les Etats libéraux d’Occident, France et Angleterre, sont aujourd’hui plus exposés aux assauts de l’extrême-gauche bolchéviste qu’ils ne l’étaient avant d’être entrés en rapports avec l’U.R.S.S.7
De tout ce qui précède, je n’ai pas la prétention de conclure: j’ai voulu seulement appeler votre attention sur certains éléments du problème qui me paraissent avoir été un peu trop négligés par nos journaux conservateurs et modérés.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 5/107.↩
- 2
- La Petite Entente et la candidature de l’JJRSS à la SdN.↩
- 3
- Cf. no 33.↩
- 4
- Le tsar et les siens sont exécutés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à Ekaterinbourg (Sverdlosk).↩
- 5
- Rivière qui traverse Bucarest.↩
- 6
- Ministre turc des Affaires étrangères.↩
- 7
- De Paris, le Ministre de Suisse fournit à Berne les informations suivantes sur l’attitude francoanglaise: De toute manière, l’entretien Barthou- Litvinoff n’a pas abouti à une conclusion précise en ce qui concerne la décision définitive de la Russie, et le vague persiste. Il est à noter que le Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères britannique, M. Eden, a dit à M. Massigli «qu’il regrettait n’avoir pas été approché lui aussi par M. Litvinoff, en vue de l’admission de l’U.R.S.S. dans la S.D.N.» Cela indique que, du côté anglais également, on serait désireux de voir le Gouvernement soviétique prendre une initiative précise. En résumé, les diplomaties française et anglaise, tout en paraissant vouloir encourager une candidature de l’U.R.S.S., n’ont, ce qui est très curieux, pas encore su trouver les moyens d’être fixées sur les véritables intentions de Moscou (Dunant à Motta, 26 mai, E 2001 (C) 5/107). Deux jours plus tard, Motta constate catégoriquement: dass er weder offiziell, noch offiziös, noch privatim irgendwie angefragt worden sei über die Haltung der Schweiz gegenüber einem allfälligen Begehren der Regierung der Sovietunion um Aufnahme in den Völkerbund oder bezüglich der Folgen, die sich aus einer derartigen Aufnahme für die diplomatischen Beziehungen unseres Landes zu Russland ergeben würden. Der Rat nimmt von diesen Mitteilungen stillschweigend Kenntnis (PVCF no 986 du 28 mai 1934, E 1004 1/346). Le 26 mars précédent, le chef de la diplomatie helvétique a consacré une partie de son exposé à ce sujet, lors du débat au Conseil national à propos du rapport du Conseil fédéral sur la XIVe Assemblée générale de la SdN (E 1001 (C) d 1/304).↩
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Admission of the Soviet Union to the League of Nations (1934)
Russia (General) League of Nations