Pacte à Quatre
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 266
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#206* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 103 | |
Dossier title | Bukarest, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 5 (1930–1933) |
dodis.ch/45808
Au cours du long entretien que j’ai eu avant-hier avec lui, Monsieur Titulesco m’a fait sur sa politique d’intéressantes déclarations sur lesquelles je m’abstiens de porter un jugement, n’étant pas encore assez familiarisé2 avec les choses de l’Europe orientale pour exprimer à leur sujet une opinion motivée.
Je me bornerai donc à vous rapporter, à titre purement documentaire et aussi fidèlement que ma mémoire me le permettra, les paroles mêmes de mon interlocuteur.
Le Ministre roumain des Affaires étrangères m’a tout d’abord déclaré assez abruptement que la situation de son pays devenait de plus en plus «intolérable» en raison de l’agitation révisionniste qui se répand de plus en plus à travers l’Europe.
«Que diriez-vous, m’a-t-il demandé, si par exemple vos voisins contestaient un jour vos droits sur le Tessin, revendiquaient un autre jour le canton de Schaffhouse ou proclamaient que Genève n’est pas suisse? Nous autres Roumains, nous sommes quotidiennement abreuvés d’outrages de ce genre, tantôt à propos de la Bessarabie, tantôt pour la Transylvanie, tantôt pour une autre de nos provinces. Et pourtant, je suis absolument certain qu’un plébiscite dans les territoires sur lesquels nos droits sont mis en doute nous donnerait partout une écrasante majorité.»
Monsieur Titulesco s’est ensuite déclaré fort satisfait d’avoir pu faire échec au projet mussolinien de directoire des quatre grandes Puissances3 et d’avoir réussi à renforcer la Petite Entente. Il m’a parlé également de son refus de conclure avec l’U.R.S.S. le pacte de non-agression que la France et la Pologne l’engageaient chaleureusement à signer. «Comment pouvait-on s’attendre, a-t-il observé, à me voir accepter un traité roumano-russe portant que, pendant cinq années, la question de la Bessarabie ne sera pas soulevée, alors que, si les pactes valent quelque chose, le pacte Briand-Kellog4 assure à jamais à la Roumanie la possession paisible de tout son territoire actuel?»
C’est surtout au sujet de l’Italie que les paroles de Monsieur Titulesco m’ont paru avoir un très vif intérêt.
«J’adore l’Italie, m’a-t-il dit en substance, mais je me vois contraint de combattre sa politique. Le Duce est sans doute un génie en matière de politique intérieure, mais quand il s’agit d’affaires étrangères, son admirable intelligence m’a souvent paru limitée. Ses projets révisionnistes sont dangereux non seulement pour les autres, mais pour son propre pays.» Monsieur Titulesco prétend que, lorsqu’il provoqua pour parer à la manœvre italienne le renforcement de la Petite Entente, il offrit au Baron Aloisi5, avec l’approbation de Monsieur Paul-Boncour6, de donner à l’Italie une situation prépondérante dans le groupement qu’il venait de raffermir: les pays de la Petite Entente seraient devenus pour l’Italie une sorte de vaste zone d’influence politique et économique. Consulté par le Baron Aloisi, Monsieur Mussolini aurait mis à l’acceptation de l’offre roumaine la condition que la Yougoslavie serait laissée en dehors du système, condition que la Roumanie ne pouvait accepter.
Mon interlocuteur paraît croire que, malgré tous les efforts entrepris pour l’empêcher, l’union de l’Autriche à l’Allemagne se réalisera tôt ou tard. «La France, m’a-t-il dit, essaie de soutenir le Chancelier Dollfuss, mais combien de temps cela pourra-t-il durer? Le Gouvernement autrichien actuellement au pouvoir ressemble à un malade que l’on prolonge en lui faisant respirer des ballons d’oxygéne. Quant au peuple autrichien, il est sidéré par l’idée qu’un Autrichien règne aujourd’hui sur l’Allemagne. Le moyen que Monsieur Mussolini préconise pour empêcher l’«Anschluss», c’est une union austro-hongaro-bulgare qui, pour nous, et pour nos Alliés de la Petite Entente, serait un remède pire que le mal. Si le Duce s’entête dans cette politique et s’il entre dans la voie des réalisations, la Petite Entente n’aura d’autre ressource que de mobiliser. Certes, nous ne commettrons pas la même faute que les Japonais7, nous ne recourrons pas à la guerre, mais nous irons à Genève avec nos armées aux frontières.»
La gravité de telles paroles dans la bouche d’un homme d’Etat responsable ne vous échappera point.
- 1
- E 2300 Bukarest, Archiv-Nr. 5.↩
- 2
- De Week avait été nommé par le Conseil fédéral le 23 février précédent. Cf. E 1004 1/338.↩
- 3
- Suivant l’article II du projet mussolinien de Pacte à Quatre de mars 1933, les quatre puissances confirment le principe de la révision des traités de paix, d’après les clauses du pacte de la Société des Nations[article 19]... A la suite de l’opposition des Etats de la Petite Entente et de la Pologne, cet article sera remanié; la version définitive du Pacte, signé le 15 juillet suivant, prévoit que toute décision concernant la révision des traités est du ressort des organes réguliers de la SdN.↩
- 4
- Pacte de renonciation générale à la guerre, du 27 août 1928.↩
- 6
- Ministre français des Affaires étrangères.↩
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