Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
6. Chine
6.4. Nomination du Consul suisse de Shanghaï en qualité de Chargé d’affaires
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 231
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1533#688* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1533 46 | |
Dossier title | Errichtung einer schweiz. Gesandtschaft in China (1924–1933) | |
File reference archive | B.21.14 • Additional component: China |
dodis.ch/45773
Ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le télégraphier, c’est le 9 de ce mois qu’a eu lieu, à Nankin, la remise de mes lettres de créance2 au Ministre des Affaires Etrangères, M. Lo Wen-kan. Vos instructions du 19 novembre dernier3, auxquelles ces lettres étaient annexées, me sont parvenues le 28 décembre seulement. Après une prise de contact avec le bureau à Shanghaï du Ministère des Affaires Etrangères, j’adressai à M. Lo Wen-kan le 3 janvier, par l’entremise de ce bureau, la lettre dont copie ci-jointe dans laquelle j’annonçais ma nomination et sollicitais une audience. Avec une promptitude exceptionnelle en Chine, je fus avisé télégraphiquement, le samedi 7, que M. Lo me recevrait le surlendemain, à 11 heures.
A la gare de Nankin, où j’arrivai le 9 au matin, je trouvai M. Hoo Che-shy, du service du protocole; M. Hoo est le frère du Chargé d’Affaires de Chine à Berne. Escorté d’abord à l’hôtel, j’y fus recherché deux heures après, toujours par M. Hoo, et conduit au Ministère. M. Lo Wen-kan me reçut seul, en costume traditionnel chinois, mais sans aucun cérémonial particulier. Je lui répétai, en termes analogues à ceux de ma lettre du 3 janvier mais en anglais, ma satisfaction d’être le premier appelé à représenter mon Gouvernement auprès du Gouvernement chinois, et mon désir de faire ce qui dépendrait de moi pour développer et resserrer les relations des deux pays. M. Lo, après quelques paroles aimables au sujet de ma personne, me dit qu’il appréciait le geste du Gouvernement Suisse et qu’il était particulièrement reconnaissant au Conseil Fédéral de s’y être décidé dans le moment actuel, où la Chine estimait doublement les preuves d’amitié. Il me parla des relations intellectuelles des deux pays, des modèles que représentent, pour la Chine moderne, nos institutions, notre législation; puis nous discutâmes des échanges commerciaux, compliqués par la crise et par les barrières douanières. J’insistai sur l’immense marché que la Chine pouvait et devait devenir, le jour où les nouvelles voies de communication, routières et aériennes, seraient établies et où le pouvoir d’achat de l’immense population commencerait à augmenter; je citai, à ce propos, l’expérience tentée par les «Laminoirs chinois d’aluminium S.A.», la première grande fabrique suisse en Chine, visant à procurer à la masse des objets manufacturés à bon marché.
J’arrivais à Nankin au moment aigu de l’affaire de Shanhaikuan4. Mis sur ce sujet, M. Lo fut, bien entendu, très net dans son appréciation qu’il ne s’agissait nullement d’un incident local, mais bien d’une opération préméditée et ordonnée par le haut commandement. Les Japonais visaient à l’occupation du Jehol et la décision prise par le Comité Central exécutif chinois de ne pas abandonner cette province sans coup férir, l’envoi consécutif par Chang Hsue-liang5 de renforts dans le nord, avaient précipité la crise. Par l’occupation de Shanhaikuan et des passes plus à l’ouest, les Japonais cherchaient à atteindre les défenseurs du Jehol dans leurs communications, en même temps qu’à s’assurer une clef de position d’où ils pourraient menacer, au besoin, même le sud. Tientsin et Pékin étaient-ils en danger? M. Lo se refusa, à cet égard, à risquer des pronostics, sans toutefois nier le danger; l’attitude de la Chine étant défensive, l’avenir, à cet égard, dépendrait des décisions de Tokyo. Mais, en tout cas, on résisterait, même si l’infériorité technique des troupes rendait la résistance sans espoir et si cette résistance devait aboutir à une extension de l’invasion; il y allait de l’honneur de la nation. De fait, je pus assister, le même jour encore, au départ d’un contingent; pauvres soldats dont les pantoufles de feutre ou les sandales de paille enfonçaient dans la neige; les heureux portaient des galoches sur leurs pieds nus. Beaucoup avaient un parapluie sur leur sac! D’après les renseignements que j’eus de bonne source, il ne s’agissait pas d’un départ pour le nord, mais simplement de garnisonner les forts du Yangtze, en vue d’une démonstration navale japonaise éventuelle ou plutôt, selon d’autres, pour ne pas laisser trop visiblement les troupes locales dans l’inaction. J’appris que, par ailleurs, des renforts avaient été acheminés directement de Hankow en direction de Pékin.
J’abordai également, avec discrétion, la question de la reprise des relations avec les Soviets. M. Lo s’appliqua à me rassurer sur les conséquences de la mesure au point de vue de l’ordre intérieur; il affirma que l’établissement de relations officielles, loin de faciliter l’action de propagande, obligerait au contraire le Gouvernement soviétique à plus de discrétion. En tout cas, l’attitude du Gouvernement à l’égard des soulèvements communistes demeurerait inchangée et la répression continuerait. J’ai noté cette opinion officielle qui n’est pas partagée par toute la presse.
Conduit, dans l’après-midi, au Mausolée de Sun Yat-sen, père de la République Chinoise, honoré d’un véritable culte, j’y déposai une couronne, selon l’usage, après avoir gravi, en compagnie du représentant du Protocole et suivi de mon domestique chinois, les quatre cents marches d’accès.
Je consacrai la journée du lendemain au dépôt de cartes dans les différents ministères. Les bâtiments publics, certains tout neufs, d’autres en construction, de même que les larges routes, neuves elles aussi, et les canalisations d’eau en voie de pose attestent l’effort considérable qui s’accomplit, depuis 3 ans, pour la transformation de Nankin en capitale moderne. Le meilleur hôtel, pour le moment, correspond à une auberge de 4e ordre en Suisse et la population non chinoise, légations et consulats compris, n’excède pas 400. D’une manière générale, je crois pouvoir dire que la décision du Conseil Fédéral conférant à mon poste un caractère diplomatique a été approuvée par les Suisses en Chine sans exception. J’ai reçu des félicitations, non seulement de nombreux suisses de Shanghaï, mais aussi de notre colonie de Tientsin, de Pékin et d’ailleurs.
Quant aux Autorités chinoises, elles ont, je le répète, beaucoup apprécié notre geste dans le moment actuel. En dehors des manifestations officielles, j’ai reçu, dès la première nouvelle publiée dans les journaux, une lettre personnelle de M.T. V. Soong, Président du Gouvernement et Ministre des Finances, qui m’a, peu après, convié à un déjeuner intime où il m’a reçu seul avec son secrétaire, dans sa villa de Shanghaï. Il a manifesté beaucoup d’intérêt pour la Suisse et le développement de nos relations économiques et m’a annoncé son intention d’envoyer prochainement à Berne un agent commercial.
Ainsi que je vous l’avais télégraphié le 4 novembre, l’article paru dans le «Journal de Genève» du 3, qui annonçait prématurément ma nomination, a été télégraphié en Chine par Havas et reproduit dans tous les journaux, ce qui m’a placé dans une situation momentanément un peu embarrassante.