dodis.ch/44678 Le Ministre de Suisse à Bruxelles, F. Barbey, au Chef du Département politique, G. Motta1
Confidentielle Bruxelles, 15 février 1921
Voilà plusieurs jours que je remets ces lignes, me défiant d’impressions trop vives, mais aujourd’hui, je croirais manquer à mon devoir et à mon rôle d’informateur si je ne vous communiquais pas la très vive impression, la déception et même la consternation2 – le mot n’est pas trop fort – qu’a causé ici, dans les sphères officielles et dans l’opinion publique la décision du Conseil fédéral dans l’affaire de Vilna. La presse, à vrai dire, sur un mot d’ordre du Ministère des Affaires étrangères, a observé une grande réserve, mais cela ne doit pas nous faire illusion: en refusant de coopérer, pour la première fois où l’on faisait appel à nous, à une opération d’un caractère nettement pacifique, correspondant de tous points au but et à l’idéal que poursuit la S.d.N. nous avons profondément déçu nos amis et les partisans de la S.d.N. qui cherchent à faire admettre ses principes et à faire connaître ses efforts dans des milieux trop souvent sceptiques et méfiants. C’est ainsi que hier soir, M. Hymans, parlant devant une grande assemblée au Palais de Justice qui réunissait l’élite intellectuelle et politique de Bruxelles en même temps qu’un auditoire très populaire, exposant l’oeuvre du Conseil et de l’Assemblée de Genève, a mentionné, au passage, avec un tact parfait – je me hâte d’ajouter – l’incident de ces jours derniers, mais qui a provoqué des mouvements de l’auditoire sur le sens desquels on ne pouvait se méprendre.
Je n’ai pas besoin de vous dire qu’à ceux qui viennent auprès de moi aux informations, je m’efforce d’expliquer la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons, eu égard à la force du sentiment populaire de notre neutralité militaire. Je n’ai pas besoin de vous dire aussi, M. le Conseiller fédéral, que je saisis vivement la situation hautement délicate dans laquelle s’est trouvée le Conseil fédéral, mais à la fois comme son représentant et comme simple citoyen, je crois de mon devoir de lui signaler les graves conséquences de la ligne de conduite qu’il a adoptée, pour notre situation à l’avenir, je ne dis pas auprès des nations de l’Entente seulement mais auprès de toutes celles qui nous ont fait pleinement confiance jusqu’ici. Il est bien regrettable que cet incident n’ait pu être ajourné après la séparation des Chambres ce qui aurait probablement permis d’éviter une partie des polémiques d’une certaine presse.
Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression très nette, qui va en augmentant, que nous allons au devant des plus graves difficultés, et bien qu’optimiste en général et plutôt porté à croire que les choses finissent en général par s’arranger d’elles- mêmes, j’éprouve cette fois, une véritable angoisse dont je n’ai pas cru devoir vous taire plus longtemps les raisons.3