Language: French
3.8.1920 (Tuesday)
Le Chargé d’Affaires de Suisse à Paris, H. Schreiber, au Chef du Département politique, G.Motta
Letter (L)
Exposé de Millerand au sujet de la question des zones. La France considère avoir les mains libres dans cette question et souhaite supprimer les servitudes que sont les zones franches. Concessions de la France en échange d’un accord de la Suisse. Mise en demeure d’accepter avant un mois l’établissement d’un cordon douanier à la frontière.

Classement thématique série 1848–1945:
IX. LA QUESTION DES ZONES DE HAUTE-SAVOIE ET DU PAYS DE GEX
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Printed in

Jacques Freymond, Oscar Gauye (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-II, doc. 381

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Bern 1984

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dodis.ch/44592 Le Chargé d’Affaires de Suisse à Paris, H. Schreiber, au Chef du Département politique, G. Motta1

Confidentielle

Ainsi que je vous l’ai télégraphié hier, M. Millerand m’avait fait demander d’aller le voir ce matin. Je me suis donc rendu au Quai d’Orsay et j’ai été reçu par M. Millerand, à l’issue du Conseil des Ministres. Il m’a déclaré tout de suite qu’il s’agissait des zones franches du pays de Gex et de la Haute-Savoie; il tenait à m’en parler avant de partir en congé cet après-midi même. Il m’a fait alors un discours avec préambule et en quatre points, dont je veux m’efforcer de vous rendre, aussi fidèlement que possible, le sens.

Dans le préambule, M. Millerand m’a fait la déclaration obligée de l’amitié qu’éprouvait pour la Suisse la France, le Gouvernement français et lui-même en particulier; amitié qui ne doit pas être un vain mot et, à cause de cela même, il importe, pense-t-il, que nous arrivions à régler la question des zones dans le plus bref délai:

1. M. Millerand part de ce principe que la Suisse n’a pas été partie aux Traités de 1815, ni d’ailleurs au Traité de Versailles, pour en venir à affirmer que la France a les mains libres en ce qui concerne les zones. A ses yeux, les stipulations y relatives des Traités de 1815 sont caduques, elles n’existent plus.

On a à la vérité annexé à l’article 435 du Traité de Versailles, les déclarations du Conseil fédéral, sur la façon dont il entend interpréter cet article 435, mais ce sont là des déclarations unilatérales qui exposent un point de vue auquel la France n’a pas adhéré; elles ne lient donc pas la France.

2. M. Millerand affirme alors que son Gouvernement, se prévalant de cette liberté, veut faire l’unité économique sur tout son territoire et ne veut plus des servitudes que constituaient les zones franches. Il entend donc établir le cordon douanier à la frontière et, en l’établissant, il usera de son droit absolu.

3. Il espère bien y arriver, d’accord avec le Gouvernement fédéral. Il y tient, et pour cela, il est prêt à accorder de larges concessions, non seulement en tenant compte de la situation géographique et économique de Genève, dans ses rapports avec les populations voisines, mais encore en réglant, dans le sens le plus amical, toute une série de questions intéressant la Suisse en général, ou d’autres parties de la Suisse: gares internationales de Bâle, de Pontarlier, etc. Si, a-t-il ajouté, la Suisse craint que les accords, qui pourraient intervenir en ce qui concerne spécialement les rapports économiques avec la zone, soient précaires, en d’autres termes, si la Suisse craint que les engagements qui seraient pris maintenant par la France, risquent d’être dénoncés en 3–6 ou 9 ans, et qu’elle ait remplacé ainsi un ancien régime stable par un régime instable, il est prêt à conclure un Traité de longue durée, de très longue durée ou même illimité.

4. Mais, si la Suisse ne donnait pas son consentement à l’établissement du cordon douanier à la frontière, la France prendrait, de sa seule autorité, les mesures qu’elle juge nécessaires et qu’elle juge être en droit de prendre pour assurer l’unité de son territoire. Mais M. Millerand ajoute qu’aucune de ces mesures ne sera prise au moins avant un mois.

C’est donc une mise en demeure d’accéder avant un mois à l’établissement du cordon douanier à la frontière, et de présenter des demandes en vue de l’établissement d’un règlement nouveau des rapports économiques avec la zone. Il y a en plus une promesse: si nous accédons sur ce point spécial, le Gouvernement français est prêt à nous faire toute une série de concessions économiques, non seulement en ce qui regarde les intérêts de Genève, mais en ce qui concerne des questions pendantes de façon générale entre la Suisse et la France.

Je ne puis vous rendre le ton et la forme du discours de M. Millerand qui est tout le temps resté extrêmement courtois et qui a beaucoup insisté sur les meilleures dispositions qu’il était prêt à montrer, dès que nous aurions cédé sur ce point principal: établissement du cordon douanier à la frontière.

Je n’avais aucune qualité, ni d’ailleurs aucune instruction pour discuter les affirmations nettes de M. Millerand. Je n’ai donc pu que lui répondre que je vous transmettrais, le plus fidèlement possible, ce qu’il venait de me dire, tout en prenant acte de son désir d’arriver à une entente et de sa promesse de faire de larges concessions dans les diverses questions actuellement pendantes entre la Suisse et la France, même autres que la question des zones, si le Conseil fédéral estimait devoir accéder à l’établissement du cordon douanier français à la frontière.

M. Millerand s’est presque excusé d’avoir dû me convoquer pour me faire ces déclarations, mais il y est poussé par la nécessité d’arriver à une solution qui tienne compte de la volonté du Parlement et du pays, d’être débarrassé de ce qu’il appelle une servitude sur une partie de son territoire, et l’entretien a pris fin.

Je ne crois pas devoir ajouter un commentaire et je n’ai, me semble-t-il, pas qualité pour cela.

1
Lettre: E 2200 Paris 1/1618.