Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ETATS
II.2 ALLEMAGNE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-II, doc. 298
volume linkBern 1984
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#759* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 341 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 73 (1920–1920) |
dodis.ch/44509
Au sujet des événements de la Ruhr, il vous intéressera sans doute de connaître une opinion française, mais qui mérite d’être prise en considération parce qu’elle résume les impressions concordantes de plusieurs personnes arrivant des provinces rhénanes où elles se sont trouvées récemment en contact étroit avec M. Paul Tirard, Haut Commissaire du Gouvernement de la République.
L’avis de ces informateurs reflète évidemment celui du personnel administratif français, civil et militaire, installé en Rhénanie.
Tous s’accordent à nier le péril bolcheviste par lequel le Gouvernement de Berlin prétend justifier l’action de la «Reichswehr» dans le bassin minier. Ils en donnent comme preuve le fait qu’à Essen, par exemple, les ouvriers n’ont jamais cessé le travail. La population ouvrière de toute la région ne serait aucunement bolcheviste, mais elle aurait pour le militarisme prussien une haine solide, accrue par le complot de Kapp et Lüttwitz. Ces dispositions auraient donné naissance dans certains milieux à des mouvements séparatistes, jugés alarmants à Berlin, mouvements que pourraient expliquer dans une certaine mesure le voisinage des territoires occupés et le désir de participer aux avantages économiques concédés à ces territoires. Le Cabinet Müller aurait lui-même donné le signal des désordres de la Ruhr à des agents provocateurs2, chargés de fournir à la «Reichswehr» un prétexte d’intervention.
Cette version, qui s’accorde de tous points avec une interview du Général Dégoutté, publiée hier par l’agence Havas, amène naturellement cette question: «Quel intérêt le gouvernement allemand pourrait-il avoir à susciter lui-même des troubles dans la Ruhr?» A cela, les informateurs français dont je vous rapporte les propos répondent comme suit: «Quel intérêt? Mais il est multiple: d’abord réprimer, sous couleur de bolchevisme, un mécontentement réel des populations de la Ruhr, mécontentement qui pourrait conduire à des résultats préjudiciables peut-être à l’unité du Reich, mais non certes au bien de la France et de l’Europe. Ensuite éluder les dispositions des articles 42 à 44 du Traité de Versailles qui interdisent toute opération militaire dans la zone dite neutre et, par là même, ébranler l’autorité du Traité tout entier. Enfin et surtout, fournir aux puissances alliées une nouvelle occasion de discorde, exploiter cette discorde par une action diplomatique et par une campagne d’opinion en mettant à profit la défiance qui se fait jour chez les Anglo-Saxons à l’égard du «militarisme français» et surtout la terreur que le bolchevisme inspire aux Américains. La manœuvre a été très habilement exécutée. Berlin n’a pas négligé d’en déclencher la phase décisive un samedi, pour obliger la France à une riposte immédiate et la mettre ainsi en mauvaise posture vis-à-vis de l’Angleterre dont les ministres, fidèles à la coutume britannique du «week-end» ne peuvent pas être atteints le dimanche. Le coup a d’ailleurs fort bien réussi puisque nous avons dû agir seuls et que le Cabinet de St-James affecte de se montrer froissé que nous ne l’ayons pas consulté au préalable.»
Cette dernière remarque paraît assez judicieuse quand on constate la froideur marquée avec laquelle le Gouvernement de M. Lloyd George accueille l’action de la France dans la Ruhr. Les Français semblent d’ailleurs se consoler de cette froideur en déclarant que l’opinion anglaise, telle que l’exprime la majorité des journaux d’Outre-Manche, approuve leur attitude. La nouvelle, annoncée ce matin, d’une coopération de la Belgique aux mesures militaires françaises a favorablement impressionné le public français, j’entends le grand public, qui ne laissait pas de redouter les conséquences possibles des décisions du Gouvernement et de l’isolement dans lequel ces décisions paraissent laisser la France.
Ce que l’on entend dire dans les milieux qui suivent de plus près les événements donne parfois l’impression que les Français sont toujours hypnotisés par un «péril allemand» dont la situation actuelle de l’Allemagne permet de contester l’existence, et que cette fascination fausse leur jugement. Aux remarques qu’on leur fait à ce propos, ils ne manquent pas de répondre: «Certes, nous n’ignorons pas que l’Allemagne vaincue est, pour le moment du moins, incapable de reprendre les armes contre nous. Nous n’avons pas peur de l’Allemagne, mais nous ne croyons pas à la parole des Allemands. Nous constatons chaque jour depuis l’armistice qu’ils cherchent à éluder leurs obligations, qu’ils ne nous ont rien donné de ce qu’ils nous doivent, qu’ils interprètent toutes les concessions comme des faiblesses et qu’ils ne sont sensibles qu’aux arguments de force. Nous sommes donc obligés de recourir à ces arguments en face d’adversaires qui ne nous ont jamais donné le moindre gage de leur sincérité. Comment voulez-vous que nous ajoutions foi à leurs assurances de bonne volonté? Ils se disent républicains et ils n’ont pas même prononcé la déchéance de la maison de Hohenzollern. Ils se proclament pacifistes et ils refusent de désarmer. Ils modifient peut-être le personnel de leur administration intérieure mais ils conservent, à la Wilhelmstrasse, le personnel et les méthodes diplomatiques de l’Empire. Si, en présence de ces faits, nos Alliés font acte de crédulité, tant pis pour eux; nous sommes bien sûrs que les faits se chargeront de démontrer que nous n’avons pas tort.»
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