Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 421
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E7350#1000/1104#9* | |
Old classification | CH-BAR E 7350(-)1000/1104 15 | |
Dossier title | Rumänien (1914–1918) | |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/44166 Le Ministre de Suisse à Bucarest, G. Boissier, au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess 1
La lettre que Vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 72 de ce mois ne m’est parvenue que le 20 mai. Je me suis aussitôt mis en rapport avec M. Baicoiano avec qui j’ai eu un premier entretien avant-hier en lui donnant connaissance du contenu de Votre lettre. J’ai insisté sur le fait que l’impossibilité où Vous vous trouviez d’accorder à la Roumanie un crédit basé sur des garanties ou des dépôts de titres ne contient nullement une arrière-pensée de méfiance à l’égard de la Roumanie, qu’elle était la conséquence d’une mesure générale prise par le Conseil fédéral à l’égard de tous les pays étrangers et qu’en faisant une exception en faveur de la Roumanie, Vous vous exposeriez aussitôt à des réclamations des autres pays, à qui Vous avez dû refuser des crédits de ce genre.
J’ai insisté également sur le fait que Vous étiez tout disposé en revanche à examiner sous une autre forme cette question d’une ouverture de crédit éventuelle, notamment sur la base d’avances à faire sur celles des marchandises que la Roumanie serait en mesure d’exporter.
M. Baicoiano m’a répondu spontanément qu’il prenait note de ma proposition, qu’il allait en référer aux membres du Gouvernement, mais qu’il tenait à déclarer avant tout qu’il n’avait chargé M. Otto Peter d’aucun mandat et qu’il s’était borné à lui remettre deux lettres pour Vous et pour M. de Haller.
Dans une nouvelle entrevue que j’ai eue aujourd’hui avec M. Baicoiano ce dernier m’a exprimé tout d’abord sa satisfaction de Votre désir manifeste de chercher un terrain d’entente pour assurer la reprise des échanges commerciaux entre nos deux pays et de la bienveillance avec laquelle ses ouvertures avaient été examinées. Il a fort bien compris la situation dans laquelle nous nous trouvons vis-àvis d’autres Gouvernements et a paru très disposé en principe à entrer dans Vos vues en trouvant Votre proposition très légitime. La saison n’est toutefois pas encore assez avancée pour qu’il soit possible à l’heure actuelle d’émettre des prévisions à peu près certaines sur la prochaine récolte; d’autre part l’attribution éventuelle d’une partie du Banat à la Serbie pourrait également modifier ces prévisions. M. Baicoiano croit que la Roumanie pourra en tout cas exporter du maïs, du colza, des haricots et des petits pois; quant au blé, il ne peut encore se prononcer. Ne voulant pas prendre des engagements qu’il ne pourrait pas tenir il m’a demandé un délai de 5 semaines environ avant de pouvoir se prononcer d’une façon définitive sur les possibilités d’exportation de la Roumanie pour la récolte pendante.
D’ici là, M. Baicoiano m’a demandé de lui procurer une liste aussi détaillée que possible des marchandises que la Suisse serait en mesure d’exporter, en insistant sur ce qu’il fallait en exclure les articles de luxe qui ne l’intéressaient pas en tant que Gouvernement, tandis qu’il aurait besoin surtout de tout ce qui rentre dans la catégorie des instruments agricoles (charrues, herses, tracteurs, moteurs, etc.) ainsi que tout ce qui a trait à la reconstitution et au développement de l’industrie en fait de machines de toute sorte, moteurs Diesel ou autres, matériel de fabrique, de chemins de fer, etc. etc. - Sur mon interpellation il a ajouté également les chaussures et les textiles de toute sorte (à l’exclusion des broderies).
Je Vous serais obligé de me mettre en mesure de transmettre le plus tôt possible ces indications à M. Baicoiano afin que j’aie une base pour discuter avec lui dès qu’il m’abordera de nouveau d’ici à un mois sur la question des récoltes. J’attache une grande importance à profiter de ces dispositions actuelles du Gouvernement et espère très vivement qu’il sera possible d’arriver à un arrangement avec lui. La Roumanie peut être un débouché de premier ordre dans l’avenir pour notre commerce et pour notre industrie et si nous pouvions dès maintenant obtenir à titre officiel des commandes d’une certaine importance, celles-ci en entraîneraient certainement d’autres et le courant des échanges serait établi. Il ne faut pas se dissimuler que chaque pays se démène beaucoup pour prendre pied sur le marché roumain, qu’il y aura une concurrence très forte à soutenir, que les commandes officielles pourraient être un appoint sérieux et que si nous ne saisissons pas l’occasion maintenant nous aurons peut-être de la peine à la retrouver.
J’ajoute que même si Vous inscrivez sur la liste que Vous m’enverrez des marchandises qui n’intéresseraient pas le Gouvernement, cela n’a pas une grande importance, en ce sens qu’il pourra toujours les rayer. M. Baicoiano a simplement insisté en première ligne sur tout ce qui touche aux instruments agricoles et à la réfection de l’industrie.
Il est excessivement difficile d’obtenir des informations précises sur l’état des récoltes et sur la quantité de terres ensemencées. Les renseignements diffèrent totalement suivant qu’ils émanent du Gouvernement libéral actuellement au pouvoir ou des représentants de l’ancien Gouvernement conservateur. J’ai interrogé à ce sujet de nombreux personnages dans les deux partis et beaucoup de propriétaires terriens, mais ne suis pas en mesure de Vous renseigner d’une façon exacte. Les membres du Gouvernement affirment que l’on a fait un très grand effort, que l’on a ensemencé au moins 75% des terres, que les récoltes sont plus belles qu’elles n’ont été depuis 10 ans et que si la température est clémente, ce qui n’est pas le cas actuellement, où nous sommes depuis plusieurs semaines dans une série de pluies froides continues, l’exportation pourra recommencer cet automne dans une proportion intéressante. Ont-ils un intérêt à tenir ces propos et à les faire publier dans la presse gouvernementale pour soutenir le cours du change et faire valoir les bienfaits de la récente loi agraire en cours d’exécution? C’est une question difficile à résoudre. - Lorsque Vous interrogez les chefs du parti conservateur qui sont en même temps pour la plupart de gros propriétaires terriens (M. Marghiloman par exemple avec qui j’en ai parlé tout récemment), ils Vous rient au nez, affirmant qu’il n’y a que 25 à 30% de terres ensemencées, soit parce qu’on manquait de semences et de main-d’œuvre, soit parce que les paysans qui ont de l’argent dans leur poche ne veulent plus travailler et que si le pays récolte de quoi se nourrir l’an prochain, il faudra s’estimer déjà très heureux. Leurs affirmations sont tellement précises que si l’on ne connaissait pas les habitudes du pays on pourrait les mettre en doute. Mais il faut se demander si eux de leur côté n’ont pas intérêt à tenir ces propos dans un but de politique intérieure.
D’ici à un mois par contre, il ne sera plus guère possible de se faire des illusions et les renseignements que je serai en mesure de Vous envoyer auront plus de chance d’être précis.
Tous les commerçants suisses de passage à Bucarest et qui viennent me voir se plaignent d’être paralysés dans leurs affaires par cette question du change; ils me disent tous qu’ils ont des stocks énormes de marchandises en Suisse, qu’ils vendraient comme ils voudraient en Roumanie, mais qu’ils ne trouvent pas d’avances en Suisse auprès des Banques. Un certain nombre d’entre eux ont cependant conclu des affaires en accordant des crédits de 6 à 9 mois et en acceptant le dépôt en lei au cours du change dans des Banques de Bucarest, quitte à liquider l’opération à cette échéance.
A ce propos j’ai été informé avant-hier par le Crédit Suisse qu’un train de marchandises organisé par le Comptoir roumain-suisse devait être adressé à la Légation de Suisse à Bucarest. J’en ai été quelque peu surpris n’ayant pas été consulté à ce sujet et ne sachant pas du tout si Votre Département aurait été d’accord pour que des marchandises privées soient adressées à la Légation. J’ai fait part de mon étonnement au Crédit Suisse tout en lui demandant si des informations suffisantes avaient été recueillies sur la solvabilité des personnes qui sont à la tête de cette entreprise. Je crois savoir qu’il y aurait lieu de s’entourer du plus de garanties possibles à ce sujet.