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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 312
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1522#1* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1522 1 | |
Dossier title | Aussenpolitische und militärische Berichte von Bern an schweizerische Vertretungen im Ausland (Auszüge aus politischen Berichten) (1918–1920) | |
File reference archive | D.1 |
dodis.ch/44057
La Division des Affaires étrangères du Département politique aux Légations de Suisse1
L’arrivée à Vienne de M. Allizé et les entrevues qu’il a déjà eues nous donnent quelque espoir de voir encore la situation sauvée à Vienne. On nous dit qu’il aurait parlé à M. Renner de la manière la plus décidée et qu’il chercherait ainsi à acquérir quelque autorité et à en donner au Chancelier. M. Allizé a eu avec notre Ministre à La Haye, M. Ritter, les meilleures relations et M. Franz, le Ministre d’Autriche en Holland e, s’est aussi loué des rapports qu’il avait eus avec l’Envoyé français.
En tous cas, si l’Entente n’empêche pas la révolution bolchevique à Vienne, ce ne sera pas faute d’avertissements. Car il est curieux de noter qu’aucune des révolutions qui se sont produites n’a surgi subitement: les événements de Hongrie étaient prédits de longue date, il y a des semaines que tous les renseignements de Munich annonçaient les préparatifs de la révolution qui a été proclamée hier. Pour Vienne, c’est de l’Entente qu’il dépend de laisser passer ou non le Gouvernement entre les mains des Communistes. Nous entrons dans la dernière semaine de grâce. Sera-t-elle mise à profit?
Autour de la Légation hongroise à Vienne s’agitent des émissaires russes que l’on assure bien munis d’argent. La presse viennoise ne fait aucun mystère du péril qui approche et demande au Gouvernement d’y parer en rassurant les masses sur les intentions de l’Entente et en leur promettant le ravitaillement par l’Italie. Par contre, la représentation à Berne de l’Autriche allemande dément tous les bruits de révolution.
La Hongrie tente de servir de trait d’union entre Lénine et l’Occident. Nous avons reçu par M. de Szilassy, le représentant à Berne du Gouvernement Karolyi, des propositions confidentielles de M. Kun, qui ne laissent aucun doute sur ses intentions dans cette direction.2
De nos frontières, il nous revient parfois des bruits inquiétants: c’est ainsi qu’à Constance on assure que les soldats allemands seraient prêts à se frayer de force un passage pour introduire le Bolchevisme en Suisse si l’invasion pacifique devait échouer.
Comme après l’assassinat d’Eisner, le Gouvernement Bolchevik de Munich songe de nouveau à faire appel à M. Muehlen pour diriger les Affaires Etrangères. Aujourd’hui comme alors, il est peu probable qu’il accepte. On se demande quelle est la raison pour laquelle la France est si favorable à la personnalité de M. Muehlen. La sympathie de la France pour Eisner provenait des tendances séparatrices et frondeuses de ce dernier qui faisaient espérer à Paris que son régime affaiblirait l’Allemagne. M. Muehlen est un adversaire décidé de Scheidemann et de tout gouvernement allemand qui ait pactisé de près ou de loin avec l’ancien régime. Peut-être faut-il chercher dans cette opposition de Muehlen à tout ce qui, en Allemagne, a encore quelque contact avec les anciennes méthodes le secret de sa popularité à Paris?
De source privée, nous apprenons que la révolution de Munich ne se place pas sur une base spartacienne: il s’agit avant tout d’écarter du corps des fonctionnaires et des officiers tous les éléments réactionnaires. L’approvisionnement en Bavière est déplorable. A Lindau, par exemple, cinq boulangeries se trouvent sans pain. Cette pénurie décourage les éléments les plus raisonnables, qui attendent de n’importe quel nouveau Gouvernement une situation meilleure. l.J
Pendant que le Bolchevisme poursuit à l’étranger son œuvre destructrice, il est intéressant de relever, chez nous, un symptôme encourageant. A Zurich, où viennent d’avoir lieu les élections au Grand Conseil de la Ville, le Bolchevisme a subi un véritable désastre. Les deux candidats spartaciens, Platten et Nobs, ont été battus: sur 24 candidats, Nobs est le 20e et Platten le dernier. Les candidats des Jungburschen, Bucher et Laibacher, n’ont pas eu plus de succès. Et le premier élu est le Colonel Reiser, commandant de place, qui a beaucoup fait parler de lui en signant la demande d’initiative pour la punition des Bolcheviks. C’est le parti grutléen qui a recueilli le plus de nouveaux suffrages.
Ce vote de Zurich est significatif, car il indique qu’un Gouvernement énergique, qui manifeste clairement, comme nous l’avons fait en novembre, sa volonté de ne pas céder à la révolte, finit par recueillir l’adhésion de la masse des citoyens. Il montre aussi que notre population est foncièrement raisonnable, même dans les centres ouvriers les plus exposés aux menées des agitateurs. Comme nous Vous l’écrivions déjà l’autre jour, nos ouvriers ont parfaitement reconnu l’erreur de leur voie et ils ne sont plus disposés à se laisser entraîner dans des grèves politiques ou des agitations sans qu’on leur dise clairement pourquoi. Le succès du parti grutléen montre que nous ne subissons pas une vague de réaction mais uniquement un revirement vers une opinion plus réellement démocratique. Nous ne voyons aucune objection à ce que Vous parliez des élections zurichoises et de leur signification aux personnes qui s’intéressent aux choses de Suisse, quand ce ne serait que pour éviter une certaine méfiance que les cercles intéressés sèment parfois à notre égard. Dans cet ordre d’idées, nous signalons «L’idea Nazionale» qui, au dire d’une agence yougo-slave en Suisse, préconiserait une nouvelle frontière de l'Italie vers la Suisse, pour parer au péril bolcheviste qui pourrait menacer l’Italie à travers notre pays. [...]
Les journaux de Naples, qui ont toujours eu une tendance germanophile, commencent à moins la cacher et la conviction se répand qu’il faut pactiser avec l’Allemagne et l’amener à siéger dans le concert des Nations.
Deux grandes forces demeurent seules en présence en Italie: le sentiment nationaliste qui n’admettrait pas que l’Italie fût sacrifiée sur l’Adria tique au profit des Slaves du sud et un mouvement socialiste qui pousse les travailleurs à compter sur les syndicats, les grèves, les menaces, beaucoup plus que sur leur travail et leur intelligence pour vivre.
Dans l’extrême confusion du moment un fait paraît certain, c’est que le Gouvernement ne pourrait plus lancer la nation dans quelque aventure militaire, ni contre la Russie, ni pour la Pologne, ni contre la Hongrie; la seule question yougo-slave passionne encore l’opinion parce qu’il s’agit ici d’«Italiens opprimés» et que la nation ne veut pas perdre les fruits de la guerre. M. Turati, le grand chef socialiste qui s’est acquis une grande autorité par son sens politique et pour avoir su dans certains moments difficiles faire preuve de patriotisme, lance un appel retentissant au prolétariat pour la défense de la paix. Il constate avec une douloureuse ironie que les promesses de «paix démocratique», de «paix juste», faites au cours de la guerre ne sont pas près de se réaliser et que la Conférence de Paris paraît impuissante à dicter une paix, quelle qu’elle soit et il met en garde le prolétariat contre toute nouvelle entreprise belliqueuse.
«Aussi longtemps, dit-il, qu’il fallait choisir entre Wilson et Lénine, nous pouvions hésiter à choisir. Mais, s’il nous faut choisir entre Clemenceau et Lénine aucun socialiste ne peut hésiter. Tant pis pour la bourgeoisie si elle résume dans ces termes sa politique internationale.»
Ces paroles de Turati, qui a toujours combattu le bolchevisme, produisent une grande impression. Il est certain que si la Conférence de Paris aboutit à un échec, le socialisme révolutionnaire en sortira renforcé en Italie.
Pour ces diverses raisons l’opinion italienne admet de plus en plus que la Conférence de Paris se montre modérée vis-à-vis de l’Allemagne. Les journaux qui expriment l’opinion du Gouvernement n’osent pas trop, naturellement, insister sur ce point pour ne pas déplaire à la France qui s’est montrée bonne alliée dans la question yougo-slave. Mais ils enregistrent, sans opposition, l’évolution anglo-américaine vers la modération à l’égard de l’Allemagne. Aucun journal ne combat l’idée de la réunion de l’Autriche allemande avec l’Allemagne. Au contraire, par dessous-mains, on encourage cette fusion si dangereuse pour la Suisse.
La réunion de l’Autriche allemande à l’Allemagne paraît à l’Italie le seul moyen d’empêcher la constitution d’une confédération danubienne qui pourrait un jour ou l’autre appuyer les revendications de la Yougo-Slavie contre l’Italie.
Nos relations avec la Pologne nouvellement reconnue ne paraissent pas s’établir d’une manière aussi cordiale que nous l’aurions espéré.
La Légation Polonaise a commencé par demander une demi-douzaine d’attachés militaires. Ensuite, un procès a été intenté par des Suisses contre l’Etat Polonais qui refusait de prendre livraison de locomotives commandées. Nous avons dû, pour éviter un scandale, annuler l’arrêt prononcé par le juge suisse sur la fortune plus ou moins personnelle de M. de Modzelewski et sur le musée de Rapperswyl. Le Gouvernement polonais ne nous a envoyé aucune lettre ni télégramme de remerciements pour notre reconnaissance.
M. Paderewski, passant samedi en Suisse, s’est borné à exprimer sa sympathie pour la Suisse romande et pour le Journal de Genèvequ’il considère comme un Allié. Pas un mot de la Suisse en général ni de la reconnaissance par nous du nouvel Etat.
Les Tchéco-Slovaques aussi, depuis près d’un mois, n’ont pas encore trouvé le temps de nous notifier la création du nouvel Etat ni de nous demander de le reconnaître. Une lettre de M. Benès à M. Dunant, parlant du sujet d’une manière officieuse et d’ailleurs amicale, est tout ce que nous ayons en mains!
Ces commencements difficiles ne nous découragent pas, mais ils montrent combien, dans la nouvelle Europe, la place de la Suisse sera différente de celle que nous nous plaisions à espérer.
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