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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 7-I, doc. 181
volume linkBern 1979
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#J1.149#1977/135#134* | |
Titolo dossier | Mission à Paris, Correspondance avec Calonder, Huber (1917–1924) | |
Riferimento archivio | 1 |
dodis.ch/43926
Huebscher, qui est arrivé ici en route pour Washington, m’offre fort amicalement de vous apporter un message de ma part, tout en m’assurant qu’en aucun cas il ne pourrait être révélé aux autorités de la Censure. Je profite bien volontiers de cette offre, puisqu’il me paraît utile que vous soyez renseigné sur la situation générale d’ici. Si je suis obligé de parler trop de moi-même, c’est pour bien vous faire comprendre mon rôle dans toutes ces conversations.
En rentrant de Washington avant Noël, j’ai passé 24 heures à Paris. J’en ai profité pour aller voir le colonel House et pour m’entretenir avec lui de la participation possible de la Suisse aux délibérations d’où devait naître la Société des Nations. Le colonel House m’a répété ce que le Président Wilson m’avait déjà dit à Washington: la Société des Nations serait l’œuvre des Alliés et les neutres n’y seraient admis qu’après sa fondation. Il a cependant fort bien compris l’intérêt qu’il y avait pour tout le monde à ce que la voix des neutres puisse se faire entendre en temps utile. Il m’a proposé, par conséquent, de revenir auprès de lui à la première occasion pour lui apporter, à titre privé, les vœux généraux du Gouvernement fédéral et pour recevoir de sa part les informations qu’il voudrait lui transmettre.
J’ai fait part de cette suggestion au Département Politique, qui a bien voulu y donner suite.
Sur la proposition de M. Max Huber, j’ai ajourné mon retour à Paris jusqu’au milieu de janvier et j’ai assisté auparavant, pendant 8 jours, à Territet, à la seconde session de la commission fédérale relative à la Société des Nations. Tout de suite après la fin de ces séances, je suis venu à Paris où j’ai passé trois semaines en conversations et bavardages avec des Français, des Anglais et surtout avec nos amis américains. Pendant ce temps M. Ador est venu séjourner une semaine ici comme hôte du Gouvernement français. Son arrivée, qui a eu lieu un mardi, nous a été annoncée ici par dépêche le samedi précédent, c’est vous dire combien ce voyage a été improvisé. M. Ador avait assez subitement pris la décision de venir s’entretenir ici avec les hommes d’Etat les plus marquants de l’Entente et de rappeler ainsi au souvenir des puissances réunies à Paris l’existence et les vœux de la Suisse. Le principe du voyage m’a paru excellent et ses effets, somme toute, très heureux. Le prestige et la popularité de M. Ador constituent certainement un capital moral très sérieux pour notre pays, mais je crois d’autre part que le rendement de cette équipée eût été accru si elle avait été préparée avec plus de soin. M. Ador, en effet, ignorait tout ce qui s’était passé à Territet au cours des fort intéressantes séances de la commission présidée par M. Calonder dont j’ai parlé tout à l’heure. M. Ador à dû constater que la conférence se déroulait selon les prévisions du Président Wilson, dont nous avions pu informer le Conseil fédéral en novembre dernier. Il a cependant insisté très fortement pour que la Suisse y fût officiellement entendue, sinon représentée et moi-même, je continue à insister dans ce sens ici, sans grand espoir de succès il est vrai.
Après trois semaines de séjour ici en janvier, j’ai eu à tel point le sentiment d’avoir épuisé toutes les sources d’informations disponibles et, je le craignais, toute la bienveillance de mes interlocuteurs, que j’ai annoncé au colonel House mon intention de rentrer en Suisse pour y reprendre mon enseignement. M. House a bien voulu insister pour que je reste en contact avec lui et nous sommes tombés d’accord sur sa proposition qui était de me faire partager mon temps entre Genève et Paris. Je suis donc revenu ici pour quelques jours cette semaine; je pars ce soir, mais je pense devoir revenir d’ici à quelques jours, après avoir fait mes cours demain et après-demain à Genève.
Quant aux informations et aux impressions les plus importantes que j’ai pu recueillir au cours de toutes mes conversations ici, les voici:
1. La bienveillance des Américains à notre égard est absolument intacte. Je ne saurais assez dire combien de toutes parts mes relations avec eux ont été faciles et agréables. Le Président Wilson, le colonel House, Lansing, Auchincloss, Grew, McCormick, Hoover, Taylor, McFadden et tous leurs collaborateurs subalternes, parmi lesquels je compte beaucoup d’anciens collègues et amis, ont vraiment mis et mettent toujours à nouveau un empressement touchant à aider à la Suisse de toute façon.
2. Quant à la participation de la Suisse aux travaux de la conférence, nous en sommes toujours au même point. Le projet de la Société des Nations, auquel nous n’avons nullement pu collaborer, est sur le point d’être publié. Nous serons donc fatalement placés devant un fait accompli. Mes conversations ici à ce sujet ont pu offrir quelqu’intérêt par les informations qu’elles m’ont permis de transmettre à Berne, mais je ne me flatte pas qu’elles aient exercé une influence quelconque sur les décisions des Alliés.
La question du Rhin, qui est également en discussion ici, sera, je le crains, aussi tranchée sans notre intervention officielle. Le plus que nous pourrons obtenir sera de nous faire entendre devant la commission intéressée par l’intermédiaire de quelques experts. Le Président Wilson, au cours d’une conversation de 40 minutes que j’ai eue avec lui hier soir, m’a dit combien il tenait à ce que cette question fût résolue dans un sens favorable à nos intérêts, mais il a écarté ma proposition de nous autoriser à nous faire représenter au sein de la commission des voies navigables par un membre de notre gouvernement. Il ne serait pas convenable, m’a-t-il dit, qu’un de vos ministres parût ici à la barre d’un tribunal composé de juges dont la plupart serait d’un rang inférieur au sien. Il m’a engagé à voir encore M. Lansing et M. White à ce sujet de sa part et à obtenir ainsi qu’une commission fédérale d’experts fût tout au moins convoquée à Paris pour y être entendue au sujet du Rhin.
3. Cette question du Rhin, puisque j’étais amené à parler d’elle ici, se pose ainsi: Les Français, pour tirer parti des gisements de potasse d’Alsace, songeaient à établir un barrage entre Bâle et Strasbourg et à y capter la force hydraulique du fleuve.
Ce projet contraire non seulement au principe de notre libre accès de la mer, mais aussi aux traités de 1815 et de 1868, n’est pas vu d’un bon œil par les Anglais et les Américains pour autant que je peux me rendre compte. Je crains cependant que ce soit un des points sur lesquels les Anglo-Américains seraient résignés à donner satisfaction à leurs Alliés. Il faudrait tout faire pour l’empêcher, vu que la navigation par canaux latéraux serait en tout cas difficile et bien plus coûteuse que celle en plein fleuve. Le Président Wilson ne m’a pas caché son sentiment à cet égard et l’occasion se présentera peut-être pour vous de lui rappeler cette affaire au cours des quelques jours qu’il compte passer à Washington.
4. Le colonel House a bien voulu, à titre tout à fait confidentiel, me permettre de consulter le projet relatif à la Société des Nations, qui doit être publié un de ces jours prochains. Ce projet sera sans doute une déception pour tous les partisans d’un ordre international vraiment nouveau et pacifique. Il est infiniment moins radical et moins complet que celui que nous avons établi à Territet et dont le texte vous parviendra, je pense, par ce courrier même.
Le projet allié a cependant pour nous un très grand avantage. Il permettrait à la Suisse d’entrer dans la Société des Nations sans renoncer à sa neutralité militaire traditionnelle. Le Président Wilson m’a déclaré hier soir qu’il ne doutait pas que si en demandant à être admis dans la société, nous demandions en même temps, en échange des services internationaux que la Suisse pourrait rendre à la Ligue, d’être exemptés de la participation à des opérations militaires offensives contre un récalcitrant, cette double requête ne serait pas écartée. J’ignore cependant si le Gouvernement fédéral pourra se résoudre à solliciter l’entrée dans une ligue aussi incomplète.
De toutes parts il est question de la Suisse et notamment de Genève comme siège de la capitale de la Ligue. Le Président Wilson m’a répété hier encore que ce serait là sa préférence. Peut-être que l’assurance de voir confier ainsi à notre pays une très haute mission internationale décidera-t-elle le gouvernement fédéral à engager notre pays dans la voie de la Société des Nations, malgré les scrupules très légitimes qu’éveillera sans doute sa constitution.
5. Il est d’ores et déjà presque établi que la nouvelle Croix-Rouge internationale aura comme l’ancienne son siège à Genève. M. Davison et des représentants de la Croix-Rouge anglaise, française, italienne et japonaise sont aujourd’hui même à Genève pour prendre langue avec mes collègues du Comité international à ce sujet.
M. Davison a toujours le même enthousiasme pour le grand projet qu’il m’avait révélé et dont je vous avais parlé la veille de mon départ d’Amérique. Comme il est très puissant et très énergique et comme il est de plus fortement appuyé par le gouvernement américain et surtout par le colonel House, son projet a bien des chances d’aboutir.
6. Pour terminer permettez-moi de vous donner encore quelques indications au sujet de la situation générale ici:
Comme vous l’aurez sans doute appris aux Etats-Unis, la grande surprise de la conférence a été la cordiale entente anglo-américaine d’une part et la très forte tension franco-américaine de l’autre. L’animosité réciproque entre Français et Américains est vraiment très profonde et très générale. Les Américains se plaignent de l’étroitesse de vues, de l’égoisme national, de la passivité et de l’impuissance économique des Français dont l’idéalisme est devenu un mythe pour eux.
Les Français, d’autre part, ne cachent pas leur mauvaise humeur de l’influence prépondérante qu’exercent à la conférence les Anglo-Américains. Il est difficile de leur faire préciser leur grief. Ils parlent beaucoup de la cherté de la vie qui serait due, selon eux, à leurs hôtes d’Outre-mer. Ils reprochent à ces derniers une attitude trop bienveillante à l’égard de leurs anciens ennemis et l’on voit même renaître les anciennes légendes des Germanophiles, selon lesquels les Etats-Unis ne seraient entrés en guerre que pour faire des affaires.
Au fond j’attribue la mauvaise humeur des Français essentiellement à leur désir encore inavoué des sphères officielles, de faire servir leur victoire à des fins annexionistes. Ils pressentent la résistance des Américains et ils leur en veulent comme un malfaiteur à sa conscience.
Le Président Wilson en est personnellement tout à fait outré; «stupid, petty, insane», telles sont les épithètes par lesquelles il caractérisa leur attitude dans ma conversation avec lui. La France, me dit-il, est le pays le plus bureaucratique qui soit resté au monde, elle est pire à cet égard que ne l’était la Prusse. Wilson est particulièrement indigné des efforts faits par le Gouvernement français pour exciter l’opinion publique contre sa politique. Il me montra à ce propos un papier portant les instructions confidentielles que le Gouvernement français avait données à la grande presse. Voici les trois points sur lesquels insistait le gouvernement français dans ce curieux document que Wilson disait tenir d’une source absolument sûre et honnête:
a. Insister sur la force de l’opposition républicaine aux Etats-Unis.
b. Exagérer l’impression du chaos en Russie.
c. Faire croire à un retour offensif de l’Allemagne.
La voix de M. Wilson vibrait d’indignation en me montrant ce document. Je ne veux pas encore le faire publier, me dit-il; mais j’accumule des munitions et si l’on me pousse à bout, on verra bien qui aura le dernier mot du débat. Sa grande préoccupation paraissait être celle de l’opinion publique française; jusqu’à quel point l’opposition à sa politique est-elle restreinte aux sphères gouvernementales, jusqu’à quel point est-elle partagée par la nation française elle-même?
Il m’a posé à plusieurs reprises cette question à laquelle il est bien difficile de répondre. Il est certain que les milieux d’extrême gauche sont encore favorables à Wilson, quoique je craigne que la publication du projet de la Société des Nations n’ait pour effet de refroidir quelque peu leur enthousiasme. Mais tous les gens du monde qu’on rencontre à Paris, ne dissimulent plus leur opposition au Président Wilson.
7. Je ne puis pas vous parler des négociations économiques auxquelles, depuis mon retour en Europe, je suis resté tout à fait étranger. Elles sont actuellement entre les mains très sûres de M. Heer. Il était venu ici à Paris il y a environ quinze jours, mais a dû rentrer en Suisse pour y prendre de nouvelles instructions; on attend son retour ici pour demain. C’est toujours la question du crédit et des licences d’exportations qui paraît arrêter les négociations.
- 1
- Lettre: J.1.149, Mission Paris 1919,1 + III.↩
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Conferenza di pace di Parigi (1919)