dodis.ch/43664

La Division des Affaires étrangères du Département politique au Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant1

Pour votre information personnelle, nous avons l’honneur de vous faire savoir ce qui suit:

Depuis quelques semaines, des déserteurs russes, en uniforme, affluent en Suisse. Ils débouchent dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel et proviennent de camps qui se trouvent le long de notre frontière, à l’Abergement, à Ste. Marie, à Malbuisson. Ils arrivent par petits groupes, qui comprennent des sous-officiers et soldats. On nous assure que d’autres camps analogues sont en préparation, notamment à la Ferrière, près du Creux (Vallorbe).

Vous comprendrez aisément qu’il ne nous est pas agréable de recevoir ces hôtes; il ne nous paraît pas impossible que leur départ de France ne soit organisé avec la connivence des autorités françaises; nous n’avons pas de preuves à cet égard, mais la manière de les cantonner et la manière d’agir à leur égard du personnel français de surveillance nous permet de tirer nos conclusions. Ces gens proviennent des compagnies de discipline formées de Russes qui refusent de combattre.

En présence des bons conseils que nous donne le Gouvernement français par votre intermédiaire à l’égard des agitateurs russes et de leur venue chez nous, le procédé plus ou moins avoué des autorités françaises, qui se débarrassent sur nous des éléments russes indésirables, ne nous impressionne pas favorablement.

Il en est arrivé 200 depuis le commencement de l’année et le récit de leurs aventures, fait dans La Sentinelle, présente des couleurs beaucoup plus tragiques et dramatiques que ce que nous en disaient vos rapports: on décrit le mitraillage et le canonnage de leur camp, la famine et le dénuement qui les ont frappés; on parle de centaines de tués, etc. (???). Nous n’admettons d’ailleurs ces descriptions que sous bénéfice d’inventaire.

Il ne nous appartient pas d’obliger le Gouvernement français à exercer un contrôle plus exact sur les personnes qui, nominalement tout au moins, servent dans son armée; mais le refoulement clandestin de tout ce monde-là chez nous nous impressionne et nous serions heureux de le voir enrayé.

Nous vous avons exposé ce qui précède uniquement afin de vous tenir au courant d’une situation contre laquelle nous ne croyons pas devoir protester pour le moment; si toutefois vous croyez pouvoir saisir la prochaine occasion qui se présentera pour faire au Ministère une allusion à cet état de choses et aux conséquences qu’il comporte chez nous, nous n’y verrions pas d’inconvénients et vous en serions reconnaissants.