Classement thématique série 1848–1945:
I. SITUATION INTERNATIONALE
2. Question d'Orient
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 414
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#742* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 337 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 56 (1903–1903) |
dodis.ch/42824 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, A. Deucher1
En me référant à mon rapport du 31 décembre 1902 no 522 sur un entretien avec l’Ambassadeur d’Autriche-Hongrie relativement à la Macédoine, j’ai l’honneur de Vous faire savoir que le Comte Wolkenstein n’a pas encore reçu de Vienne d’indications précises sur la ligne de conduite arrêtée entre les Cabinets de Vienne et de St-Pétersbourg pour tenter d’assurer une certaine pacification de la Turquie d’Europe. Je pense que ce retard est dû au fait que le Comte Lamsdorff a dû d’abord en référer au Czar au milieu des fêtes du jour de l’An russe, après quoi les deux Ambassadeurs de Russie et d’Autriche à Constantinople ont été invités à formuler des observations. C’est seulement après qu’il en aura été tenu compte que les propositions austro-russes seront notifiées aux puissances en vue d’une action commune sur le Sultan et sur la Porte. D’autre part le directeur politique au Ministère des Affaires étrangères à Vienne a été récemment à Paris et a conféré pendant plusieurs jours avec M. Dumba, Conseiller de l’Ambassade d’Autriche en France, qui part demain pour rejoindre le poste de Belgrade, où il vient d’être nommé Ministre. M. Dumba, qui a dû se mettre minutieusement au courant du théâtre sur lequel il va être appelé à agir, a passé chez moi une partie de l’après-midi d’hier dimanche.
Il m’a dit, que, sous réserve de modifications de détails, le désir commun de l’Autriche et de la Russie serait d’assurer à la Macédoine une moins mauvaise administration en obtenant de la Turquie:
1. Une autonomie financière afin d’employer dans le pays le produit des impôts qui ne sont pas donnés en gage aux créanciers de la Turquie.
2. Une police convenable.
3. L’envoi de fonctionnaires offrant des garanties d’honnêteté pour l’administration et pour la justice, c’est là le point le plus difficile, car la question est de savoir si ces fonctionnaires existent.
M. Dumba a ajouté qu’il n’y avait rien à risquer de la part de la Serbie qui n’a ni armée sérieuse, ni finances, ni gouvernement capable, et qui ne bougera pas.
D’autre part, il faut absolument obtenir de la Turquie un effort sérieux parce qu’en Bulgarie il est à craindre que le Gouvernement soit impuissant à empêcher au printemps une action par des corps-francs macédoniens. Il est vrai que les Comités bulgares sont sans argent. Il est vrai qu’une pression énorme a été exercée par la Russie sur le Gouvernement bulgare pour l’obliger à se tenir tranquille; mais les événements peuvent être tels que, si la Turquie ne prend pas des mesures suffisantes, le Gouvernement bulgare, même à le supposer de bonne foi, ne pourra pas s’opposer à des actes de complicité.
Enfin M. Dumba m’a dit que si, comme on peut toujours le redouter de la part de populations sauvages comme les Macédoniens et de troupes sauvages comme celles de la Turquie, il survient de nouveaux massacres, une intervention européenne risque fort de s’imposer. Il n’est plus possible de demeurer indifférent. L’opinion publique exigera une action effective.
J’ai cru comprendre que ce cas avait été prévu entre Vienne et Pétersbourg. Sans dire expressément qu’il y avait eu accord sur ce point, M. Dumba a ajouté que l’Autriche était seule en situation d’agir, en dehors des Bulgares dont on ne veut pas. Seule l’Autriche a des troupes à proximité. En Bosnie elle a une forte division et un corps d’armée peut y être jeté en 8 jours, c’est l’armée autrichienne qui interviendrait forcément parce que des troupes russes mettraient plus d’un mois à arriver sur les lieux. Sans affirmer que cela ait été déjà fait, M. Dumba m’a donné à entendre que l’Autriche avait donné ou donnerait à la Russie, par la signature d’un protocole de désintéressement, des garanties contre les conséquences durables d’une occupation de toute ou partie de la Macédoine par les forces autrichiennes.
J’espère être assez prochainement en situation de Vous fournir des explications plus précises, mais je crois que les détails fournis par M. Dumba montrent bien le désir austro-russe d’agir avec une certaine fermeté et de ne pas laisser, d’autre part, les affaires macédoniennes compromettre les relations entre les deux empires.
Le Ministre de Roumanie m’a dit que son Gouvernement avait reçu l’assurance de Pétersbourg comme de Vienne, que le statu quo roumain serait en tout cas respecté.
Une petite note sceptique pour terminer: le plus âgé des Ambassadeurs à Paris, un homme qui a été jadis Ministre en Roumanie et qui a été fort longtemps secrétaire-général des Affaires étrangères dans son pays, me disait en souriant: «Depuis cinquante ans j’entends parler de réformes en Turquie; depuis cinquante ans on ne les fait pas; mais, chaque fois que la situation revient d’une façon aiguë sur le tapis, on prend à la Turquie un morceau de territoire. On le lui prend même lorsqu’elle est victorieuse comme cela a été le cas de la Crète après la défaite des Grecs qui s’étaient lâchement fait battre et qui valent moralement moins que les Turcs. Pourquoi cela ne finirait-il pas comme cela en Macédoine?»
Dans le monde de la Finance, on est disposé à ne pas trop s’alarmer, parce qu’on ne voit pas les gouvernements européens, très soucieux jusqu’ici de protéger ceux qui ont prêté de l’argent à la Turquie, démembrer celle-ci au préjudice de ses créanciers d’Europe. Les financiers se montrent optimistes et ont peutêtre de fort bonnes raisons pour cela. L’action austro-russe devra donc tenir compte de ce facteur financier et ménager la Turquie. Ce n’est peut-être pas très humanitaire, mais c’est humain.3
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Alliances and Relations with other States (1893–1903)