Également: L’Ambassadeur d’Angleterre, Sir Rumbold, proteste contre le laxisme de la police helvétique à l’égard des anarchistes; le Comte Welsenheimb fait de même et laisse entendre que l’Autriche-Hongrie, sans prendre l’initiative de mesures contre la Suisse, pourrait en revanche s’y associer. Annexe de 22.9.1898
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 272
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E21#1000/131#14027* | |
Old classification | CH-BAR E 21(-)1000/131 491 | |
Dossier title | Internationale Konferenz in Rom betr. Anarchistenbekämpfung, 1898 (1898–1912) | |
File reference archive | 06.2.4.1 |
dodis.ch/42682
J’ai l’honneur de Vous informer qu’immédiatement après mon arrivée à Vienne (vendredi matin), j’ai été reçu d’abord par le Comte Welsersheimb, premier chef de section au Ministère des Affaires étrangères, puis par le Comte Goluchowski et hier matin par S.M. l’Empereur.
L’impression que m’ont laissée ces différents entretiens et d’autres, est la suivante: Il existe ici deux courants, qui marchent parallèlement d’abord, mais qui s’écartent sensiblement ensuite. Le premier est attribuable à l’Empereur dont les paroles, durant notre entretien, ont été des plus cordiales et affectueuses, pleines de gratitude pour le Conseil fédéral, le Conseil d’Etat de Genève, les populations et autorités suisses et genevoises; il n’a pas laissé entendre un mot qui puisse paraître être l’ombre d’un reproche et les marques de bienveillance qu’il m’a données étaient si sincères et démonstratives qu’elles ont été remarquées par mes collègues présents en cercle. Le mot d’ordre donné par l’Empereur, m’assure-t-on, est que la Suisse ne doit pas être rendue responsable d’un crime dont elle ne peut absolument rien.
L’autre courant, dont l’existence m’est surtout apparue dans ma conversation avec le Comte Goluchowski a le même point de départ: «Certainement» me disait-il, «ce n’est pas à cet excellent peuple suisse que cet infâme attentat doive être imputé; il n’y a, à coup sûr, pas un Suisse, qui ne regarde pas avec horreur le crime de Lucheni, mais» – a-t-il ajouté et c’est ici que se séparent les 2 courants – «la Suisse qui ne produit pas d’anarchistes est un peu trop le ‹dépotoir› des anarchistes de l’Europe. Il faut songer à faire cesser cet état de choses, que la Suisse fasse des lois contre les anarchistes et poursuive ces bêtes fauves jusque dans leurs derniers repaires.» Dans l’entretien qui suivit, après que j’eusse mentionné l’existence de nos lois contre les anarchistes2, de notre loi sur les extraditions et les diverses arrestations et expulsions opérées à Genève et à Lausanne etc. etc, le Comte Goluchowski me répondit «que sans doute nos autorités faisaient maintenant le nécessaire et qu’elles avaient l’opinion publique pour elles, comme je l’en avais assuré, mais, » a-t-il ajouté, «leur zèle se refroidira, on finira par oublier cet odieux forfait. Ce qu’il faut c’est une protection efficace de tous, non seulement des souverains, mais des personnes et des choses, dont le droit à l’existence est nié par les adeptes de l’anarchisme. Il faudra, » dit-il, «premièrement, une ligue de police internationale, puis plus tard, » il ajouta, «une ligue internationale contre l’anarchisme.»
Je ne puis Vous donner aujourd’hui que très en résumé le raisonnement du Comte Goluchowski; j’entrevois des conseils que lui ou tout autre gouvernement songe à nous faire parvenir.
Dans la soirée de hier, après les cérémonies des funérailles, je rencontrais le Comte Kuefstein à son hôtel occupé à lire les journaux du soir. Il me dit entre autres que l’on s’étonnait ici que la police suisse ait été – d’après les journaux français et italiens – prévenue de la présence de Lucheni en Suisse et des dangers que présentait sa personne, il ajoutait qu’il serait heureux de «pouvoir répondre» aux questions que l’on pourrait lui faire à ce sujet. Ayant pris rendezvous pour déjeuner ce matin avec lui, je lui apportai le no du Journal de Genève du 16 et. où du moins pour ce qui concerne la France cette nouvelle est démentie. Le Comte Kuefstein me dit alors qu’il serait heureux d’avoir un démenti pareil pour ce qui concerne l’Italie; puis il ajouta qu’il serait bon de démentir le plus tôt possible ces bruits qui ne laissent pas «d’impressionner certaines personnes.» C’est à la suite de cette indication que j’ai pris la liberté de Vous adresser mon télégramme chiffré de ce jour.3
Durant cet entretien j’ai porté la conversation sur les divers télégrammes arrivés de Suisse, annonçant diverses arrestations et expulsions d’italiens, puisque le Conseil fédéral a tenu déjà séance pour décider sur l’attitude à observer à l’égard de l’anarchisme.4 J’ai pris occasion d’insinuer confidentiellement au Comte Kuefstein que j’avais vu avec regrets que certains journaux, italiens et français surtout, cherchent à [faire endosser à la Suisse le crime de Lucheni et qu’ils parlaient de mesures internationales. J’ai ajouté: «L’opinion publique en Suisse a toujours été défavorable aux anarchistes, elle l’est aujourd’hui plus que jamais; il serait fâcheux de venir à l’encontre des intentions des autorités et des populations suisses en portant la discussion sur ce que devrait faire la Suisse et en faisant des propositions qui risqueraient de contrecarrer les bonnes dispositions existantes.» J’ai donné ceci au Comte Kuefstein, qui n’avait pas encore vu le Comte Goluchowski, comme mes sentiments personnels; il a reconnu la justesse de mon argument, et je pense qu’il en fera usage.
En portant bien à la hâte ce qui précède à Votre connaissance, j’ai l’honneur de Vous informer, Monsieur le Président, que le Comte Kuefstein partira probablement demain soir pour Berne; sauf empêchement imprévu je partirai par le même train et serai mardi soir à Berne pour Vous faire part de mes impressions.
A mon sentiment il serait possible de couper court aux suggestions qui pourraient venir de Vienne, de Berlin ou d’ailleurs en revenant peut-être par note, sur la question des «Leumundszeugnisse»5 et en ajoutant qu’il serait utile de rehausser la valeur de ces documents par l’organisation de communications entre les polices des Etats intéressés sur une base à la fois large, simple et plus rapide que par le passé, ce qui permettrait un contrôle plus efficace des ennemis de l’ordre public.
Une communication de cette nature, faite le plus tôt possible, paralyserait sans doute les efforts de ceux qui tiennent à formuler des conseils ou des propositions.
N’ayant pu voir que peu de collègues, tous occupés par la présence des nombreux souverains, je dois me réserver de recueillir demain d’autres impressions.6
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