Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
16. Italie
16.1. Commerce
16.1.1. Traité de commerce de 1891
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 76
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.19-01#1000/1701#111* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.19-01(-)1000/1701 106 | |
Dossier title | 21 (1882–1897) | |
File reference archive | 0 |
dodis.ch/42486
J’ai bien reçu votre télégramme et votre lettre du 10 janvier2 rendant compte d’un entretien que vous avez eu le même jour avec Monsieur di Rudini. La haute estime que j’ai pour la personne et le caractère du Premier ministre d’Italie me fait vivement désirer qu’il ne reste pas sous l’impression fâcheuse qu’ont produite sur son esprit les rapports qu’il a reçus de Zurich3.
D’abord je dois constater que nos relations avec la délégation italienne ont toujours été des plus courtoises. Par moments il est vrai, la discussion a pu s’animer de part et d’autre, mais ainsi que le disait M. Malvano en ma présence chez M. Peiroleri, lundi dernier, elle n’a jamais franchi les bornes d’une parfaite politesse. Je suis donc surpris que M. di Rudini se plaigne du ton que nous avons visà-vis de la délégation italienne. Nos collègues italiens ont toujours exprimé au contraire vis-à-vis de nous leur grande satisfaction de la manière en laquelle ils étaient accueillis et traités à Zurich. Nous serions affligés qu’ils eussent un autre sentiment.
Il n’est pas exact non plus que nous ayons agité comme une menace la perspective de l’application de notre tarif général. Mais il va sans dire que dans une négociation pareille, il est impossible de ne pas effleurer une question qui est naturellement au fond la grande préoccupation de part et d’autre. Seulement, lorsque ce point a été abordé occasionnellement, nous avons eu soin d’ajouter chaque fois que nous écartions pour le moment cette éventualité qui, nous l’espérons, ne se présentera pas.
Reste la base de la négociation. La délégation italienne se plaint de nos exigences; elle déclare inadmissible que nous demandions à améliorer le statu quo à l’entrée en Italie tout en l’aggravant à l’entrée en Suisse.
Il est parfaitement vrai que c’est ainsi que la situation se présente. Mais y a-til là quelque chose d’absolument anormal, et d’inconnu jusqu’à ce jour? Ce même fait ne s’est-il pas présenté maintes fois dans les rapports commerciaux entre les peuples de l’Europe? N’est-il pas devenu pour ainsi dire la règle depuis qu’un esprit de protectionnisme à outrance s’est emparé de presque toutes les nations? La Suisse n’en a-t-elle pas souffert, plus qu’aucun Etat? Et si elle demande aujourd’hui que la balance se redresse un peu à son profit, formule-telle une prétention déraisonnable?
Je fais appel à l’équité de M. di Rudini. Il devra reconnaître que le tarif suisse de 18514 avec ses taux ne dépassant pas 16 et 30 frs. les cent kilos était de beaucoup le plus bas de l’Europe. Devrions-nous, comme le Japon, être condamnés à ne jamais le relever? Or, c’est là la prétention de la délégation italienne lorsqu’elle nous demande de maintenir à 16 fr. et à 30 fr. nos droits sur des articles comme les meubles, les gants de peau, les filés et tissus, etc., alors que l’Italie perçoit sur ces mêmes articles des droits qui vont jusqu’au décuple de ceux que nous lui offrons aujourd’hui.
S’il est pénible de devoir accepter des aggravations à l’entrée dans un autre pays, je dois rappeler à M. di Rudini que c’est là la situation que la Suisse a dû trop longtemps subir de la part de ses voisins. En 18815, tout en maintenant ellemême son tarif de 1851, la Suisse a dû accepter de gros relèvements de droits en Allemagne. En 18826, elle a conclu avec la France un traité qui constituait une aggravation seulement du côté français. Mais c’est avec l’Italie qu’elle a fait sous ce rapport les plus dures expériences. Tandis que la Suisse a maintenu, ou à peu près, jusqu’à aujourd’hui les bases du traité italo-suisse de 18687, l’Italie a constamment aggravé la situation de son côté; les conventions et traités8 de 1879, de 1883 et de 1889 ont marqué chaque fois une étape dans la voie des relèvements de droits sur le tarif italien. Faut-il s’étonner si notre peuple a perdu patience, et si, voyant que les protestations platoniques ne servaient à rien, il s’est à son tour armé de tarifs efficaces destinés à ouvrir les portes qu’on s’obstinait à fermer de plus en plus aux produits de son travail?
Cette attitude résolue a déjà produit son effet. Deux puissants Etats, l’Allemagne et l’Autriche, ont en 1888, et l’année dernière dans une plus grande mesure, reconnu notre bon droit9. Les gouvernements de ces deux pays ont franchement accepté la situation que la délégation italienne déclare inadmissible. Ils ont soumis à leurs Parlements des traités qui contiennent des réductions de droits à l’entrée dans ces deux pays en même temps que des relèvements à l’entrée en Suisse. Le gouvernement italien est trop équitable pour ne pas reconnaître qu’il peut et doit agir de même à notre égard. Son Parlement saura se rendre aux excellentes raisons qu’il lui donnera pour justifier le nouveau traité, de même que le Reichstag et les parlements d’Autriche et de Hongrie se sont laissé convaincre en 1888 et se laisseront sans doute convaincre cette fois encore, par leurs gouvernements.
Monsieur di Rudini aurait donc tort d’admettre que la base si équitable que nous présentons implique de notre part l’intention de ne pas conclure. Nous sommes au contraire vivement désireux d’avoir un nouveau traité mais seulement dans les conditions où nous l’avons conclu avec l’Allemagne et l’Autriche. Quant aux détails de la négociation, je puis dire dès maintenant à M. di Rudini que, si nous obtenons sur le tarif italien des réductions suffisantes sur nos articles d’exportation entre autres le coton et les machines, nous sommes disposés à concéder à peu près sur toute la ligne les mêmes avantages que ceux dont jouissent en vertu du tarif conventionnel de 1889 l’agriculture et la viticulture italiennes. Si des relèvements légers ont lieu sur tel ou tel point, ce ne sera que dans un intérêt fiscal et nullement dans le but de restreindre les importations en Suisse. Par contre, sur les articles industriels qui figurent dans notre tarif conventionnel actuel, il ne nous sera pas possible de les réduire au-dessous des taux acceptés par l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, pays de beaucoup les plus intéressés à ces articles, et cela d’autant moins que, pour les mêmes articles, qui sont aussi de production et d’exportation suisses, l’Italie perçoit des droits triples, quadruples et mêmes décuples.
A mon avis, il serait utile que la liste des articles sur lesquels portent les demandes italiennes fût restreinte le plus possible à ceux qui ont un intérêt essentiel pour ce pays et qui peuvent de notre part être l’objet de concessions sur les taux soit de notre tarif général soit de notre nouveau tarif conventionnel. J’y verrais l’avantage de moins appeler l’attention sur les relèvements qui ont lieu sur les autres articles comparativement aux taux actuels. Il est du reste à remarquer que du 1er au 12 février, nous serons déjà en Suisse sous le régime nouveau créé par notre tarif général du 10 avril 1891, pour autant qu’il n’a pas été modifié par le tarif conventionnel avec l’Allemagne et l’Autriche. La seule exception, qui prendra fin le 12 février, est celle du tarif italo-suisse de 1889, et peut-être celle du tarif hispano-suisse de 1883, si ce dernier est prorogé, ce qui n’est pas encore fait. C’est donc bien, à ce point de vue aussi, le régime nouveau qui doit servir de point de départ à notre négociation avec l’Italie, et non point le régime actuel, comme la délégation italienne le demande.
Je vous prie, Monsieur le Ministre, de porter ce qui précède à la connaissance de M. di Rudini dans la forme que vous jugerez la plus convenable. Il se persuadera par là, j’aime à le croire, de l’esprit absolument conciliant qui nous anime, esprit qui n’est autre que celui d’une entière équité. P.S.: 17 janvier. Toute réflexion faite, j’ai préféré entretenir M. Peiroleri dans le sens qui précède. Il a sans faute fait rapport à M. di Rudini. Si je vous transmets cette lettre, ce n’est donc plus pour que vous en communiquiez le contenu au Chef du cabinet italien, mais pour votre orientation et afin que vous soyez en mesure de répondre à M. di Rudini, le cas échéant.
- 1
- Lettre: E 2200 Rom 1/106.↩
- 2
- Non retrouvé.↩
- 3
- Cf. procès-verbaux des négociations commerciales italo-suisses de Zurich du 4 janvier au 18 avril 1892 (E 13 (B)/219).↩
- 4
- Cf. RO 1851, II, pp. 547 s.↩
- 5
- Cf. RO 1882, vol. 5, pp. 426-450.↩
- 6
- Cf. RO 1883, vol. 6, pp. 295-360.↩
- 7
- Cf. RO 1869, IX, pp. 595-609.↩
- 8
- 1. Cf. DDS vol. 3, chap. Il, 1.3.1.↩
- 9
- Cf. ibid. chap. II, 1.2.↩