Classement thématique série 1848–1945:
I. SITUATION INTERNATIONALE
1. Alliances et relations entre puissances
1.3. Convention franco-russe
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 67
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#730* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 335 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 44 (1891–1891) |
dodis.ch/42477
Voici la suite des renseignements recueillis sur la situation générale dans ma tournée de visites de rentrée:
L’Ambassadeur à'Autriche-Hongrie se montre assez réservé dans ses appréciations; il ne croit pas qu’il ait été signé un arrangement entre la France et la Russie pouvant constituer la contre-partie de la Triple Alliance; il ne croit pas qu’il y ait ni à Paris, ni à Pétersbourg, de projets de guerre immédiate ni même à un an d’échéance; il n’a trouvé, chez M. Carnot, chez M. de Freycinet, chez M. Ribot, que des assurances pacifiques; son attaché militaire ne lui signale rien d’exceptionnel. Le Comte Kalnocky, de son côté, ne juge pas la situation alarmante; on a néanmoins augmenté le budget militaire pour porter à un chiffre plus élevé le chiffre de présence effective par compagnie dans la monarchie austro-hongroise, mais on a cru pouvoir renoncer à Vienne à un certain nombre de dépenses militaires exceptionnelles et donner ainsi le pas à l’équilibre budgétaire. Le Cte Hoyos n’a pas encore eu l’occasion de voir, en dehors des cercles gouvernementaux et bien qu’il soit rentré à Paris il y a plus d’un mois, un nombre suffisant de Français non-officiels pour se rendre compte des effets de l’entrevue de Cronstadt sur l’esprit public.
Passons maintenant aux Français:
M. Ribot, auquel je disais en riant qu’il avait transformé l’Europe pendant les vacances, m’a répondu, comme le 5 août au moment où le contre-amiral Gervais était à Cronstadt, par un geste qui voulait dire: «On voit des montagnes là où il n’y a pas grand’chose.» Comme j’insistais doucement, en disant que nous avions en Suisse l’écho des inquiétudes que la situation nouvelle avait provoquée en Allemagne par exemple, M. Ribot a répondu: «Oui, ils ont été très inquiets». J’ai répliqué: «Cela a engagé nos cercles militaires à prendre quelques mesures exceptionnelles; en raison de la transformation de notre armement, nous avons dû, pour ne pas être surpris, augmenter les approvisionnements de cartouches avec la poudre sans fumée destinées à notre ancien fusil; nous améliorerons aussi sur plusieurs points nos travaux de fortification dans certains passages des Alpes intéressant les relations franco-italiennes.2 Je ne pense pas que nous ayons tort?». M. Ribot a eu l’air embarrassé de cette demi-question. Comme il m’a toujours dit la vérité depuis quinze ans que j’ai l’honneur d’être en relation avec lui, je dois constater qu’il ne m’a pas dit carrément: Il n’y a rien à craindre; vous n’avez aucun motif de Vous presser; nous sommes à la paix pour longtemps ou autres propos analogues. Il a été beaucoup plus réservé; il a gardé assez longtemps le silence, cherchant une réponse, et a fini par dire: «Je ne crois pas la paix menacée actuellement.» Et comme je recommençais en imposant que les approvisionnements sont chers en ce temps de famine et qu’il peut y avoir des pertes sérieuses lors des reventes, M. Ribot a repris: «Je pense que nous sommes à la paix, à moins d’événements imprévus.» M. Ribot avait, je le répète, plutôt l’air embarrassé et j’aurais désiré le voir plus explicite et moins diplomate.
M. Floquet, Président de la Chambre des députés, m’a paru très épanoui; il se félicitait chaleureusement de la «situation nouvelle» reconnu à la France par tout le monde, estimait qu’en Allemagne on n’avait plus le vent dans les voiles; que la mort du vieil Empereur, celle de M. de Moltke et l’opposition de M. de Bismarck plus avantageuse à la France que la mort du Chancelier, comme aussi les brusques changements de direction dus à l’humeur de l’Empereur Guillaume II et qui n’étaient pas de nature à imposer la confiance à son entourage, permettaient «de considérer le moment psychologique comme s’approchant». Vous savez que M. Floquet est allié, par sa femme Mme Kestner, au parti alsacien militant, et qu’il n’a guère d’influence sur les actes du cabinet actuel.
Un autre Alsacien, M. Sansbœuf, jadis membre du bureau de la Ligue des patriotes dont il s’est séparé avec éclat lorsqu’elle s’est mise, par M. Deroulède, sous l’influence du Général Boulanger, et qui a été président central des Sociétés françaises de gymnastique, disait ce matin que, quoique citoyen paisible et modeste architecte, il estimait le moment venu d’en finir. Qui sait combien de temps l’Empereur de Russie sera bien disposé? La France ne peut pas supporter bien longtemps le service de trois ans pour tous les citoyens sans exception; on ne veut plus faire des employés de commerce à 17 ans pour se séparer d’eux à 20 ans et les reprendre à 24 ans lorsqu’ils ne savent plus rien; on prend partout des étrangers. Le recrutement et toutes les professions sauf l’agriculture en souffre. Il faut la guerre pendant que la génération de 1870, celle qui a vu l’invasion et a connu les Prussiens, est encore là. Ici encore, et plus encore que chez M. Floquet, nous sommes en présence de l’élément revanche, tempéré par l’influence de M. Ferry, très lié avec M. Sansbœuf.
L’excellent M. Le Royer, président du Sénat, dont j’ai eu la visite hier soir, est beaucoup plus rapproché de la terre ferme et n’a aucune inclination pour les revendications idéales. Selon M. Le Royer, il y a beaucoup, énormément de «mousse» française dans tout ce qui se passe, mais c’est seulement de la mousse. M. Le Royer s’est plaint d’avoir dû subir cet été, dans 25 départements, les discours de maires surexcités et les accents de l’hymne russe; il ajoute: «C’est grotesque et c’est extrêmement triste de voir cet emballement. Ces gens se sont monté la tête sans savoir de quoi et pour quoi. Car enfin, la vérité vraie est qu’il n’y a rien entre la Russie et nous que des sympathies. Combien de temps dureront-elles? Que valent-elles? La Russie, sachez le bien, ne s’est pas liée les mains vis-à-vis de nous; elle est complètement libre, et à son point de vue elle a raison, car le jour où elle voudra faire la guerre aux Allemands, elle nous aura. Il pourra y avoir d’assez vives déceptions dans ce pays lorsqu’il finira par apprendre la vérité, c’est-à-dire l’absence d’alliance franco-russe. M. Carnot se laisse un peu entraîner sur la pente de la flatterie, car j’ai reçu autrefois les confidences de M. Grévy et je puis Vous assurer que, beaucoup plus discrètement, avec beaucoup moins de tapage, mais avec tout autant de précision qu’aujourd’hui, notre intimité avec la Russie n’était pas alors beaucoup moins faible qu’à l’heure actuelle. On a provoqué de la sorte, sauf à chercher à la retenir quelques jours après, une agitation factice dans un pays qui, n’en doutez pas, repousse l’idée d’une guerre d’agression; la France n’est pas disposée à attaquer l’Allemagne; le peuple français peut avoir ses bouffées de gloriole, restes des temps césariens, mais la grande masse des Français, parfaitement résolue à faire une défense qui serait cette fois tout autre qu’en 1870, est absolument réfractaire à une guerre d’agression. Vous ne trouverez pas dix personnes d’une autre opinion dans le Sénat.»
Il m’a paru intéressant de sonder (une fois n’est pas coutume) l’Eglise; le nouveau nonce, Mgr Ferrata, pour la première fois depuis la rupture de nos relations avec le St-Siège en 1874, était venu, le premier, me faire une visite lors de son installation à Paris au commencement d’août; je m’étais excusé alors de ne pouvoir la lui rendre, vu mon départ imminent pour la Suisse; je lui ai rendu cette visite hier et il en a paru enchanté, m’a demandé la permission de continuer ces relations et m’a chargé, avec une abondance toute épiscopale de ses compliments pour Vous et surtout aussi pour M. Ruchonnet, dont il a appris avec beaucoup de peine l’état de santé. Mgr Ferrata me dit que, resté tout l’été à Paris, il a vu des hommes et des ecclésiastiques de toutes les parties de la France, et que toutes ses informations impliquent, chez l’immense majorité des Français, en dehors du clan alsacien proprement dit, le désir le plus réel du maintien de la paix; le service de trois ans a encore renforcé ces sentiments pacifiques en atteignant directement les milieux accoutumés jusqu’ici à envoyer les paysans se battre pour eux. Le danger ne pourrait venir que du parti radical s’il revenait au pouvoir et voulait faire de la «République pour l’exportation» a l’instar de la première République; or ce parti n’a pour le moment pas de chances de revenir à la tête des affaires précisément parce qu’il ferait perdre du coup à la France les sympathies de l’Empereur de Russie qui paraît être resté d’humeur pacifique et dont l’intimité avec Paris semble devoir être interprétée comme un élément d’apaisement; la Russie n’a aucun intérêt à commencer une guerre pour le plaisir de faire rendre l’Alsace-Lorraine à la France; elle a d’autres buts à poursuivre; elle se servira peut-être de la France pour les atteindre, mais elle ne semble pas être prête à risquer actuellement ni même d’assez longtemps une grande guerre; elle s’ajuste en ce moment à Constantinople pour obtenir la neutralité de la Turquie, ce qui est le rêve du Sultan, mais si Constantinople rate son objectif, comment croire qu’en fin de compte le Sultan et l’Angleterre, sans compter l’Italie, pourront accepter cette neutralité? Le peuple français actuel n’est plus susceptible de partir en guerre pour une guerre de Crimée «retournée» et ne peut plus être enflammé que pour une lutte défensive.
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Alliances and Relations with other States (1893–1903)