Thematische Zuordung Serie 1848–1945:
III. SICHERHEITSPOLITIK
4. Die Wahrnehmung von Hoheitsrechten in Savoyen
4.2. Verhandlungen über eine Besetzung im Kriegsfall
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 3, doc. 320
volume linkBern 1986
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#1643* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 270 | |
Dossier title | Unterhandlungen mit Frankreich zur Regelung der Detailfragen für eine eventuelle Besetzung des neutralisierten Gebietes Nordsavoyens durch eidgenössische Truppen (1886–1887) | |
File reference archive | B.137.1 |
dodis.ch/42299
Avant-hier soir, je Vous écrivais que je comptais ne prendre aucune initiative visà-vis de M. Flourens sur la question de la Savoie neutralisée & attendre ses communications.2 Les choses vont quelquefois autrement & plus vite qu’on ne pouvait le supposer, et ce soir, je viens constater que les circonstances m’ont engagé à avoir à ce sujet un entretien avec le Général Boulanger.
J’ai dîné chez Madame Floquet avec le Ministre de la Guerre, qui était placé à côté de ma femme, et que j’ai ensuite entretenu de petites affaires (libérations de la Légion étrangère, etc). Nous avons passé au fumoir, où nous avons commencé par échanger des banalités sur la situation générale, le Ministre disant entre autres qu’il ne faut jamais reculer, et que la force des choses amène le plus souvent la lutte entre deux hommes, fussent-ils seuls au monde, témoin l’histoire de Caïn & d’Abel. De fil en aiguille, nous nous sommes trouvés seuls près de la cheminée, et cela m’a engagé à demander au Ministre de la guerre s’il avait quelques renseignements sur la présence d’alpini à la frontière suisse, présence signalée par nos journaux suisses sans que j’ai d’ailleurs d’informations officielles à ce sujet. Le Général a répondu qu’il ne savait rien sur ce point, parce qu’en ce moment son service d’informations était essentiellement employé au Nord & au Sud de la Suisse. J’ai dit alors que M. Flourens avait manifesté vis-à-vis de moi d’assez sérieuses craintes à l’égard de l’Italie, mais avait constaté que sur les représentations de la France, les troupes italiennes avaient été retirées de l’extrême frontière française. Mr Boulanger a confirmé le fait, puis il a ajouté: «Nous sommes heureux de voir combien Vous faites tout ce qui dépend de Vous pour assurer le maintien énergique de Votre neutralité; je ne sais pas si nous marchons à la guerre; chaque matin, en me réveillant, je me demande quelle tuile va me tomber sur la tête; il faut une grande prudence & un sang-froid continu; il ne s’agit pas de jeter par distraction un bout de cigare dans le tas de poudre. – Nous savons que Vous faites tout ce qui est en Votre pouvoir pour Vous mettre en garde contre le seul danger qui Vous menace, celui d’avoir à désarmer ou à repousser les corps plus ou moins nombreux qui pourraient être rejetés sur Votre territoire, et nous avons confiance dans Votre force. Les traités, Vous le sentez depuis quarante ans, ne valent guères que ce que vaut la force destinée à les faire respecter. Personne ne désire ajouter Votre armée à ses autres embarras.»
Moi. En fait de traités, avez Vous l’impression, Général, que l’Italie médite un coup sur la Savoie? Je me suis demandé si M. Flourens n’avait pas quelques inquiétudes à ce sujet.
Boulanger. Non; en tous cas je n’ai pas d’impression précise sur ce point. Pour Vous la Savoie est neutre, et il Vous est assez indifférent qui en est le «propriétaire». Pour nous, Vous le comprenez, il en est un peu autrement. Vous avez toutefois un grand intérêt au maintien de cette neutralité. Si Vous y laissez toucher, Votre propre neutralité est bien malade.
Moi. On s’est beaucoup disputé depuis soixante dix ans sur la question de Savoie dans l’intérêt de qui cette neutralité de la Savoie a été créée; les Suisses ont soutenu qu’elle était faite dans leur intérêt exclusif; les Piémontais ont soutenu qu’elle était dans leur intérêt exclusif; je parle naturellement en mon nom personnel et je tiens à Vous déclarer que je n’ai pas sur ce point la plus petite instruction; comme Vous le disiez tout à l’heure, il faut faire attention en ce moment de ne pas jeter des allumettes sur le trottoir après avoir allumé son cigare et je redoute de lever à Berne ce lièvre de la Savoie, parce que cela pourrait inquiéter l’opinion; si l’on nous voit inquiets, Vous pourriez croire ici que nous avons de mauvaises nouvelles de Berlin et vice-versa – et nous n’avons, nous qui désirons la paix, aucun intérêt à accroître l’appréhension des autres. – Je me demande donc, à titre absolument personnel, comme le ferait un monsieur qui écrirait une brochure historique sur la question, si les uns & les autres ne sont pas trop absolus, et si la neutralité de la Savoie n’a pas été, au fond, inventée dans l’intérêt des deux, ou si Vous préférez, dans l’intérêt de tout le monde, dans l’intérêt de la paix européenne. Il est d’ailleurs à peu près dit dans les traités de l’époque que cette neutralité est dans l’intérêt de la politique européenne. Si chacun voulait laisser de côté les débats oiseux et faire du pratique, on ferait peut être bien de s’y prendre d’avance.
Boulanger. Vous avez absolument raison. La neutralité de la Savoie est dans Votre intérêt à plusieurs points de vue; géographiquement, elle est dans Votre intérêt pour la partie la plus voisine du lac de Genève; elle est plutôt dans l’intérêt savoisien pour la partie méridionale du territoire neutralisé. En tout cas, Vous avez un intérêt considérable à l’assurer, car, je le répète, qui y touche Vous touche, et une neutralité ne vaut que si elle est respectée. La neutralité de la Savoie ne forme qu’un tas, un morceau avec la Vôtre.
Moi. Il ne faudrait pas aller trop loin si Vous voulez faire quelque chose de pratique. Nous sommes en Suisse d’honnêtes gens qui tiennent leurs engagements, mais qui tiennent à ne pas être engagés au delà de ce qu’ils ont promis. J’ai donné l’année dernière des leçons d’histoire suisse à quelques enfants de notre colonie de Paris, et je ne crois pas qu’il y ait depuis six siècles un seul cas dans lequel la Suisse n’aurait pas exécuté fidèlement ses promesses. – Pensez-Vous que nous soyons sérieusement tenus d’occuper et de défendre militairement le chemin de fer d’Aix à Culoz?
Boulanger. Certainement; il est dans le territoire neutralisé.
Moi. Comme Vous y allez! N’oublions pas cependant qu’en 1815, la route du Mont-Cenis était absolument en dehors du territoire neutralisé; il est équitable d’admettre que le chemin de fer, qui a remplacé la route, est dans la même situation que celle-ci. – N’oublions pas non plus qu’en 1859, Vous avez passé par ce chemin de fer et que les Sardes Vous ont appelés, sans que personne ait protesté, pas même l’Autriche?3
Boulanger. Vous avez été maladroit en 1859; Vous deviez aller au lac du Bourget. Vous courriez, sans le moindre équivalent, un très-grand risque, si l’Autriche eût été victorieuse.
Moi. Vous n’avez peut-être pas tort. Quoiqu’il en soit, il me semble que Vous et les Italiens pouvez, moins que personne, nous reprocher de considérer la voie ferrée de Culoz à Aix comme n’étant pas neutralisée.
Boulanger. Le fait est qu’il vaut mieux, de notre part, ne pas lever ce lièvre; ce serait Vous faire la réplique trop facile. Restons pratiques, encore une fois. Vous avez absolument raison; je Vous remercie de m’avoir parlé de cette affaire dès maintenent. Nul ne sait ce que peut nous apporter l’avenir le plus rapproché. Il faut absolument que nous réglions les détails d’une occupation eventuelle par Vos troupes, en gens calmes, sinon, comme tout ce qui touche à Votre neutralité est extrêmement délicat & peut nous mettre de gros embarras sur le dos, les mesures les plus inoffensives de Vortre part ou de la nôtre pourraient prendre des proportions désagréables dans la fièvre d’une déclaration de guerre. Je Vous en prie donc, parlez en à M. le Ministre des Affaires Etrangères; il m’en nantira, et Vous me trouverez bien disposé, Vous le voyez.
Moi. Je Vous le répète, je redoute d’en parler, d’abord parce que je n’ai pas d’instructions, et ensuite parce que je crains qu’en Suisse, le fait qu’on viendrait à savoir dans le public qu’on s’occupe de l’affaire de Savoie ne fasse naître la crainte d’une guerre imminente. – Sur qui pourrait, selon Vous, porter l’arrangement?
Boulanger. Il pourrait constater que, si Vous nous notifiez Votre intention d’occuper la Savoie neutralisée, ou si nous Vous demandons de l’occuper, Vos autorités militaires auront telles & telles compétences; on réglerait les rapports de l’autorité militaire avec l’autorité civile, les réquisitions de matériel de transport, la juridiction militaire, enfin tout ce qui pourrait, à défaut d’entente, provoquer des conflits entre Vos troupes & les habitants.
Moi. Si nous admettions le principe, dont Vous venez de parler, que la neutralité de la Suisse & de la Savoie forment un seul tas, un seul morceau, il est bien entendu que nous aurions à défendre cette neutralité de notre mieux, c’est à dire de la manière que nos militaires jugeraient la plus profitable; supposons une tentative des Italiens de passer le Simplon; notre général peut décider de se battre en Valais et retirer toutes nos troupes de la Savoie pour agir au mieux de la défense de cette neutralité commune. Il ne serait pas pratique de lui lier les mains en fixant l’effectif à laisser en Savoie ou à y placer.
Boulanger. C’est évident. Vous pouvez défendre à Bâle la neutralité de Genève, et au Simplon ou au Gothard celle de la Savoie. – Tout cela, c’est de la «technique», qui regarde exclusivement Votre commandant en chef. C’est Votre affaire, et j’ajouterai: c’est Votre intérêt, le plus grand de Vos intérêts. – Encore une fois, faisons du pratique; ne soulevons pas de questions oiseuses; pourquoi n’en parleriez-Vous pas tout de suite à M. le Ministre des Affaires Etrangères?
Moi. Tout cela est bien gros; je n’aime pas à me mêler de ce qui ne me regarde pas, et pour que cela me regarde, je devrais provoquer des instructions qui risquent d’être le bout de cigare imprudemment jeté.
Boulanger. Comment, cela ne Vous regarde pas? Mais rien ne Vous regarde plus que cela. – Si Vous craignez de Vous lier pour toujours, on pourrait faire un arrangement valable pour une année. On pourrait même, je Vous soumets cette idée sans être certain qu’elle soit bonne, publier notre arrangement afin que personne ne puisse prétendre à une surprise et à une entente irrégulière entre Vous & un seul des belligérants possibles. – Non, non, je Vous en prie, ne craignez pas d’en parler à M. le Ministre des Affaires Etrangères. C’est agir en bons pères de famille que de régler calmement, de sang froid & à temps ce qui pourrait donner lieu à des brouilles si l’on retardait jusqu’à la presse de la dernière heure.
Le général m’a tendu la main & nous sommes redescendus auprès des dames.
Il est bien entendu de part & d’autre que l’entretien de ce soir avec le général Boulanger est exclusivement personnel & n’engage personne.
M. Flourens ne m’a rien dit aujourd’hui de l’affaire de Savoie.
Il pourrait être utile que Vous consultiez, dans les archives fédérales, un projet d’arrangement de Juin 1859 avec la Sardaigne4, projet dont je Vous prierais de m’envoyer au besoin le texte et qui est mentionné dans les documents conservés dans nos dossiers; un autre projet a été rédigé en Novembre 1870;5 je ne l’ai pas non plus.
Je ne dis rien encore à mes collaborateurs de toute cette affaire, en vertu de la règle que, pour garder un secret, le plus sûr est de n’en parler à personne.
Il est une heure du matin; j’ai tenu à rédiger en rentrant chez moi cette conversation qui constitue une reconnaissance assez avancée de la situation. Il est évident que le Ministre des Affaires Etrangères comme aussi les bureaux ministériels peuvent ne pas avoir la même manière d’envisager les questions traitées. Quoiqu’il en soit, si Vous jugez, après avoir lu le présent rapport, qu’il y ait lieu de reparler de cette question, le premier, à Mr Flourens, veuillez simplement me télégraphier: «oui».6 Il va sans dire que je continuerais vis-à-vis de M. Flourens à m’exprimer comme vis-à-vis de M. le général Boulanger, c’est à dire à rester ce que je suis en réalité, un agent sans instructions, écoutant en son nom personnel & n’ayant pas qualité pour répondre.
- 1
- Bericht: E 2/1643.↩
- 2
- Nr. 319.↩
- 3
- Anmerkung im Dokument: Voir dépêche de M. de Rechberg au Ministre d’Autriche à Berne, M. de Menschingen [verbessert in: Menshengen], en date de Vienne, 27 Juillet 1859 [verbessert in: 14 août (E 2/1629)], et dont copie nous a été envoyée à l’époque; il s’agissait de la réunion à Zürich de la Conférence qui a suivi les préliminaires de Villafranca.↩
- 4
- E 2/1629.↩
- 5
- Nicht ermittelt. Vgl. DDS 2, Nrn. 300, dodis.ch/41833 und 301, dodis.ch/41834.↩
- 6
- Mit Telegramm vom 19. 2.1887antwortete das Politische Departement: Oui si Flourens partage les idées de Boulanger, Vous ouvrir davantage et annoncer que vous demanderez des instructions pour régler l’affaire sans bruit, mais sans retard comme mesure de bonne précaution vous recevrez par occasion les copies demandées merci de votre activité si perspicace (E 2200 Paris 1/0185).↩