Classement thématique série 1848–1945:
I. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ÉTATS
I.12 FRANCE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 2, doc. 379
volume linkBern 1985
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#710* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 330 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 24 (1871–1871) |
dodis.ch/41912
Avant de quitter Paris, j’ai jugé nécessaire de faire encore une visite chez M. de Rémusat, Ministre des Affaires Etrangères, et d’appeler principalement son attention sur trois questions: le remplacement du M[inistre de Châteaurenard, les questions relatives au traité de commerce, et l’instruction si lente du procès intenté aux individus compromis dans le mouvement communaliste de Paris.
Je me suis rendu à cet effet à Versailles Samedi dernier, et j’ai l’honneur de Vous rendre compte de l’entretien que j’ai eu avec M. de Rémusat.
1°. J’ài déclaré au Ministre des Affaires Etrangères qu’il était difficile au Conseil Fédéral de ne pas insister de nouveau pour obtenir le prompt remplacement de M. de Châteaurenard, Ministre de France en Suisse. Je lui ai fait part de la manière de penser du Conseil Fédéral, d’une manière confidentielle, mais avec la plus entière franchisee.t dans des termes aussi positifs que possible. Il m’a paru nécessaire de m’exprimer d’une manière catégorique, et de faire usage de Vos diverses communications2 au sujet de cette délicate question.
M. de Rémusat s’est empressé de me déclarer qu’il rappellerait la question à M. Thiers, et cela très prochainement.
J’ai demandé au Ministre que sa promesse fût promptement mise à exécution, attendu que je me réservais d’en parler avant mon départ au Chef du Pouvoir Exécutif.
En sortant du Cabinet de M. de Rémusat, je me suis rendu en effet auprès de M. Barthélémy St-Hilaire, et M. Thiers a fixé à hier Mardi l’audience que je réclamais de lui. Vous trouverez plus loin le récit de mon entretien avec M. Thiers.
2°. Je me suis fait un devoir de profiter de mon entretien avec M. de Rémusat pour lui exposer quelle position la Suisse compte prendre en présence des projets financiers du Gouvernement et de l’Assemblée nationale, en tant qu’ils porteraient atteinte au traité de commerce franco-suisse. «La Commission du budget, ai-je ajouté, se propose de frapper d’une surtaxe de 3 % de la valeur toutes les marchandises soumises au droit, sans distinction entre les matières premières et les produits manufacturés. Ce mode de procéder serait, selon moi, entièrement contraire aux stipulations du traité de 18643. Les articles 1er, 3, 28 et 30 sont formels, et la Suisse ne pourrait à aucun point de vue donner les mains à des modifications de ce traité. Les industriels Suisses ont pris leurs mesures sur la foi d’une convention librement consentie pour douze années, et le Gouvernement fédéral ne pourrait sur ce point qu’appuyer les légitimes réclamations du commerce Suisse. Il me paraît utile de bien préciser la position de la Suisse, et de porter à la connaissance du Gouvernement Français les dispositions de mon Gouvernement.»
M. de Rémusat s’est exprimé aussitôt dans ce sens que les réclamations de la Suisse lui paraissaient fort naturelles. «Les intentions du Gouvernement ne sont du reste pas définitivement arrêtées et sont, comme Vous le savez, fort différentes de celles de la Commission. Le but de celle-ci serait du reste de ne frapper les produits étrangers que dans la mesure en laquelle les produits similaires seraient grevés à l’intérieur. Les pourparlers continuent entre la Commission et le Gouvernement; il ne m’est donc pas possible de Vous donner à ce sujet de réponse définitive.»
3°. Avant de quitter M. de Rémusat, j’ai abordé encore la question des Suisses détenus dans les pontons. «Je ne puis me décider à rentrer en Suisse sans avoir reçu de Vous des déclarations rassurantes au sujet de ceux de mes compatriotes arrêtés à la suite de l’insurrection de Paris. J’ai acquis la conviction morale, à en juger par les documents restés entre mes mains, que bon nombre d’entre eux sont innocents et que, pour beaucoup d’autres, les charges qui pèsent sur eux sont peu graves. – Dans quelle position se trouve placée la Légation Suisse, lorsque des femmes, des fils de détenus viennent demander le résultat de mes démarches? Depuis bientôt trois mois, la détention continue, et je ne puis m’empêcher d’exprimer, dans les termes les plus positifs dont je puisse faire usage vis-à-vis de Vous, la conviction que ces lenteurs pourraient et devraient avoir enfin un terme. Que répondre aux familles des détenus, alors que j’ai la preuve à peu près certaine de l’innocence de la personne incarcérée?»
M. de Rémusat m’a paru impressionné par ce langage; il m’a promis de prendre note de mon instante réclamation et de faire son possible pour y satisfaire. La suite donnée par lui à ma demande est de nature à me faire espérer un résultat satisfaisant, comme Vous le verrez plus loin.
Ainsi que j’ai eu l’honneur de Vous en informer, j’avais réclamé de M. le Chef du Pouvoir Exécutif une audience pour l’entretenir de diverses questions actuellement pendantes entre les deux Gouvernements, et cette audience avait été fixée à hier Mardi 15 Août, à dix heures du matin.
Arrivé hier à dix heures à Versailles, je trouvai M. Barthélémy St-Hilaire devant la porte de la Préfecture. M. St-Hilaire m’annonça que M. Thiers était précisément en conférence avec les délégués d’une fraction de la Chambre, au sujet de la prorogation des pouvoirs. La question était si importante que M. Thiers me priait de l’excuser s’il ne pouvait me recevoir. Plutôt que de me faire attendre, il me demandait de venir déjeuner avec lui à midi et demi.
Immédiatement avant de se mettre à table, M. Thiers me conduisit dans une salle voisine, où nous pûmes nous promener ensemble, tout en parlant d’affaires.
«Eh bien, quelle affaire motive votre demande d’audience, et quel désir avezvous à exprimer?» me dit M. Thiers, dès que nous fûmes seuls. «Ce que je demande avant tout, c’est une mesure déjà décidée depuis longtemps en principe, et à l’exécution de laquelle le Conseil Fédéral attache une véritable importance. Je veux parler du remplacement du Ministre de France à Berne. Le Conseil Fédéral a appris avec satisfaction Votre intention de choisir un autre représentant en Suisse, et il est convaincu que Vous saurez choisir un homme agréable à la fois aux uns et aux autres.» – «Quant [à]ce point, je puis Vous répondre sur le champ. M. Lanfrey est nommé Ministre à Berne.» – «Oui, mais on prétend qu’il refuse sa nomination.»
«Depuis que Vous avez vu M. de Rémusat», dit M. Thiers, «j’ai parlé de nouveau de la question à M. Lanfrey. Il acceptera.» – «Dans ce cas, il ne me reste qu’à exprimer le désir que la nomination officielle ne se fasse plus longtemps attendre.»
Passant ensuite à la question du traité de commerce, j’ai appelé l’attention de M. Thiers sur le bruit des journaux que l’intention de la Commission du budget serait de surtaxer de 3% toutes les matières premières ou manufacturées. «Je ne puis m’empêcher d’ajouter que si cette disposition devait être acceptée dans l’étendue qui lui est attribuée par les journaux, elle constituerait à mes yeux une violation flagrante du traité de commerce.»
M. Thiers s’est empressé de me déclarer que la proposition du Gouvernement différait entièrement de celle de la Commission. Il a ajouté que cette proposition de la Commission avait été mal reproduite par la presse. La surtaxe de 3% de la valeur ne frapperait pas seulement les produits étrangers, mais serait aussi étendue à l’intérieur, sous forme de droit de consommation ou autre droit sur les marchandises françaises. A cette occasion, M. Thiers a concédé nettement le principe que l’aggravation des tarifs devait coïncider avec une aggravation proportionnelle des droits à l’intérieur. Il a déclaré en terminant que la question n’était pas encore mûre, et que l’étude était loin d’en être terminée.
J’ai répliqué que si j’avais cru devoir aborder ce terrain vis-à-vis de lui, c’était dans la conviction qu’il était important de lui faire savoir que la Suisse entendait s’en tenir exclusivement aux dispositions du traité de 1864. «J’ai cru qu’il était utile pour Vous de connaître clairement nos intentions et de savoir que le commerce suisse, après s’être imposé bien des sacrifices et avoir fait des efforts considérables pour pouvoir soutenir la concurrence française, s’opposerait, à juste titre, à toute négociation de nature à altérer l’esprit de ce traité.»
Après le déjeuner chez M. Thiers, je me suis rendu chez M.de Rémusat, qui habite le même hôtel que le Chef du Pouvoir Exécutif. M. de Rémusat était à son cabinet, bien que le 15 Août soit encore actuellement un grand jour férié en France.
Je lui ai demandé ce qu’il avait cru pouvoir faire en faveur des Suisses détenus. Les assurances qu’il m’avait données le Samedi précédent étaient si positives que j’espérais pouvoir obtenir une réponse satisfaisante.
M. de Rémusat m’a déclaré que mes dernières observations avaient produit sur lui une grande impression. Il avait cru devoir écrire immédiatement au Ministre de la Guerre pour lui en faire part, et avait demandé au Général de Cissey: 1°. que les Suisses non encore élargis fussent immédiatement interrogés avant tous les autres; 2°. que tous ceux dont l’arrestation n’est pas suffisamment motivée fussent mis en liberté, aussitôt après avoir été interrogés, dès le moment où l’interrogatoire et les certificats joints à leurs dossiers établiraient l’insuffisance des motifs de leur arrestation; 3°. pour tous les autres Suisses, qu’ils fussent mis en liberté et expulsés par voie administrative, s’il existait des doutes à leur égard; 4°. ne renvoyer devant la Cour Martiale que les individus contre lesquels il existe des charges graves et spéciales.
«Cet ordre n’a pas encore été exécuté, a ajouté M. de Rémusat, parce que je l’ai signé hier seulement. Vous pouvez néanmoins constater que j’ai fait tout ce qui dépendait de moi pour accéder à Votre désir.»
J’ai immédiatement exprimé à M. de Rémusat ma reconnaissance pour l’accueil fait par lui à ma réclamation. Je me permettrai d’ajouter que cet accueil aurait dû, depuis fort longtemps déjà, être réservé à une requête aussi légitime. M. de Rémusat étant tout récemment arrivé aux affaires, cette observation ne réduit en rien le mérite de la décision prise par le nouveau Ministre des Affaires Etrangères.
Vous m’obligeriez, Monsieur le Président, en regardant comme confidentielle la communication qui m’a été faite par M. de Rémusat au sujet de nos compatriotes détenus. Les avantages qu’il assure aux Suisses pourraient, s’ils devenaient publics, provoquer des réclamations de la part des autres Gouvernements Etrangers. Il en résulterait pour M. de Rémusat des désagréments dont nos compatriotes eux-mêmes pourraient avoir à souffrir. La Belgique, par exemple, compte encore quatre cents de ses nationaux au nombre des détenus, et il importe que l’interrogatoire des Suisses puisse précéder celui de ces 400 Belges. Afin de rassurer les familles des intéressés, il suffirait de mentionner que la procédure relative aux détenus va être considérablement activée, sans mentionner le fait que les Suisses seront l’objet d’une préférence.
J’ai annoncé à M. de Rémusat que M. Lardy se rendrait un des jours de cette semaine auprès du Bureau de la Justice Militaire à Versailles, avec un extrait du dossier réuni par la Légation Suisse pour chacun des citoyens Suisses détenus. Il comparera ces dossiers avec ceux du Bureau de la Justice Militaire, s’assurera de l’exactitude et de la concordance des renseignements recueillis, et cherchera à obtenir des détails sur le lieu de détention de huit ou dix de nos compatriotes disparus.
M. de Rémusat s’est déclaré prêt à faciliter la tâche de M. Lardy, et l’accueil exceptionnellement gracieux dont j’ai été chaque fois l’objet auprès de lui est pour moi un garant de la réalisation de sa promesse.
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