Classement thématique série 1848–1945:
VI. NEUTRALITÉ, POLITIQUE DE NEUTRALITÉ
VI.1. 1866
VI.3. 1870
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 2, doc. 245
volume linkBern 1985
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#709* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 330 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 23 (1870–1870) |
dodis.ch/41778
La question politique qui, depuis trois jours, occupe tous les esprits, et qui est de la plus haute importance, non seulement pour la France, mais pour la paix européenne, c’est l’offre de la couronne d’Espagne au prince de Hohenzollern par le Maréchal Prim, et l’acceptation de cette offre par le prince.
J’ai pensé qu’il vous serait agréable d’être renseigné d’une manière aussi complète et aussi positive que possible sur l’état actuel de la question.
Pour être en mesure de pouvoir vous fournir des indications certaines, je me suis rendu ce matin chez M. Olozaga, ambassadeur d’Espagne à Paris, avec lequel je suis en relations très agréables depuis son arrivée à Paris.
J’ai eu avec celui-ci un entretien qui a duré plus d’une heure, et je m’empresse de vous communiquer le résumé des informations que j’ai obtenues.
Le fait déjà mentionné dans les journaux, que le Ministère des Affaires Etrangères de France ne savait absolument rien de ce qui se passait, est parfaitement exact. Ni l’ambassadeur de France à Berlin ou son remplaçant, ni l’ambassadeur de France à Madrid, ne l’avaient prévenu.
Ce n’est que Dimanche que M. Mercier a annoncé ce fait, de Madrid, par un télégramme adressé au duc de Gramont. Or Dimanche, les journaux de Madrid en parlaient déjà.
Je puis ajouter que le Maréchal Prim a tenu les offres faites au prince de Hohenzollern secrètes, même vis-à-vis de M. Olozaga. C’est hier seulement que ce dernier a reçu une dépêche de Prim lui annonçant que le prince Adolphe (sic) de Hohenzollern avait déclaré, dans une lettre adressée au Maréchal Prim, qu’il était tout disposé à accepter la couronne d’Espagne, si les Cortés se prononcent en sa faveur.
Cette démarche a provoqué une immense sensation à Paris, et soulève de nouveau toutes les susceptibilités nationales des Français contre la Prusse.
L’opinion générale est que toutes les choses ont été arrangées par M. de Bismark, d’accord avec le roi de Prusse, et il serait difficile de trouver un Français pénétré de l’idée contraire.
Cependant, M. Olozaga m’a dit que lui, personnellement, ne peut pas encore croire à l’intervention du Gouvernement de Berlin dans cette affaire jusqu’à ce jour. Il a ajouté textuellement qu’il envisage M. de Bismark comme un homme trop prudent et trop prévoyant pour ne pas être convaincu d’avance des conséquences très graves de l’appel d’un prince prussien à la tête de la nation espagnole.
L’Empereur et son Gouvernement ont été péniblement frappés par cette nouvelle tout à fait inattendue. Ils ont été surpris par l’événement comme tout le monde.
L’effet déplorable que la réalisation de ce plan exercerait inévitablement en France, s’il devait se réaliser, explique tout naturellement que le Gouvernement Français fasse encore tout son possible pour s’y opposer. L’Empereur a chargé le duc de Gramont de dire à l’ambassadeur de Prusse à Paris, M. de Werther, qu’il désire voir M. de Werther communiquer à son souverain «que l’Empereur regardera comme une preuve éclatante de l’amour de la paix de la part du roi de Prusse, le fait que celui-ci s’opposera à l’acceptation de la couronne d’Espagne par le prince de Hohenzollern. Dans le cas où ce prince devrait maintenir sa résolution, et où les Cortés voudraient réellement lui confier la couronne, il pourrait en résulter des conséquences très graves, et il pourrait ne plus dépendre de l’Empereur, en présence de l’opinion publique en France, de les détourner.»
«Je n’ai pas lieu de douter, a ajouté M. Olozaga, que ces paroles de l’Empereur impliquent un casus belli, si le prince de Hohenzollern est élu roi d’Espagne.»
M. Olozaga s’est prononcé dans les termes les plus positifs contre la candidature d’un prince prussien. «Cela provoquera à coup sûr la guerre civile en Espagne, et à cela viendrait encore s’ajouter peut-être la responsabilité d’une guerre entre la France et la Prusse.» M. Olozaga m’a assuré avoir écrit hier dans ce sens au Maréchal Prim, tout en regrettant que les choses fussent déjà aussi avancées.
Un journal de Paris a dit que l’Angleterre verrait d’un assez bon œil l’appel du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne. Ce fait m’a paru dès l’abord très douteux de la part d’un Gouvernement dont la politique est essentiellement dirigée par le désir de maintenir la paix. J’ai demandé à M. Olozaga s’il savait quelque chose de positif à ce sujet.
Il m’a immédiatement répondu que mes doutes n’étaient pas seulement justifiés, mais que d’après ce qu’il avait pu apprendre de très bonne source, le Gouvernement Français était sûr que non seulement l’Angleterre, mais aussi les cabinets de Vienne et de Florence, feraient des démarches auprès du Gouvernement Espagnol pour chercher à obtenir de la part de celui-ci, la renonciation au plan de remettre la couronne à un prince prussien. M. Olozaga désire et espère que des démarches de cette nature ne resteront pas sans effet à Madrid.
M. Olozaga n’a pas encore vu l’Empereur depuis que cette nouvelle est arrivée à Paris; mais il est appelé à St-Cloud, aujourd’hui à deux heures. Je ne crois pas me tromper en supposant que l’Empereur, avec lequel M. Olozaga est en très bonnes relations personnelles, depuis leur séjour commun à Londres sous le règne de Louis-Philippe, exposera à l’Ambassadeur d’Espagne la portée de cet incident dans le même sens que vis-à-vis de l’Ambassadeur de Prusse par l’intermédiaire de M. de Gramont, et qu’il invitera M. Olozaga à user de toute son influence auprès de son Gouvernement pour s’opposer à l’exécution de ce plan.
J’ai dit alors à M. Olozaga: «Dans ce cas, Vous partirez sans doute immédiatement pour Madrid?» – «C’est bien possible, a-t-il répliqué; cela dépendra essentiellement des ouvertures que me fera l’Empereur. Une absence de Paris est cependant très fâcheuse pour moi dans ce moment, parce que j’ai avis que les Carlistes se préparent déjà à ouvrir la campagne sur territoire espagnol.»
Il est un point sur lequel ma conversation avec M. Olozaga a laissé certains doutes dans mon esprit. M. Olozaga m’a dit que, dans son opinion personnelle, les dernières ouvertures faites au prince de Hohenzollern l’auraient été par le Maréchal Prim, sans entente préalable avec le régent Serrano et avec le conseil des Ministres. D’un autre côté, il m’a confié en même temps que, par suite de la lettre reçue hier du Maréchal Prim, il avait reçu l’ordre de faire insérer, dans les journaux de Paris, «que Prim aurait agi dans toute cette affaire, d’accord avec le Régent et avec le Conseil des Ministres», et de rectifier en même temps la première nouvelle, répandue par un télégramme de l’agence Havas, que la couronne serait déférée au prince Hohenzollern, sans votation préalable des Cortés. Une rectification dans ce sens se trouvait hier dans tous les journaux du soir sous forme d’un télégramme adressé de Madrid à l’agence Havas.
Un fait pourrait peut être expliquer cette contradiction: Vous vous souvenez que peu de temps avant la dissolution des Cortés, le Maréchal Prim a fait un rapport sur les négociations qui ont eu lieu avec les différents candidats au trône d’Espagne. A cette occasion, il a aussi été fait mention de négociations avec un membre d’une famille princière allemande. J’ai appris d’une autre source, ordinairement très bien renseignée, que le prince Adolphe (sic)v. Hohenzollern possède à Paris un agent de confiance avec lequel des conversations ont eu lieu de la part du Maréchal Prim, «et cela à deux reprises différentes». Il paraît que ces négociations n’avaient pas abouti, ce qui expliquerait pourquoi Prim aurait pu déclarer qu’avant trois mois, il espérait que des négociations ultérieures pourraient néanmoins être couronnées de succès. Il est donc possible que ces premières négociations à Paris aient eu lieu par suite d’une entente entre Prim et le Conseil des Ministres Espagnols, et que le Maréchal Prim se soit cru suffisamment autorisé à reprendre les négociations, par l’intermédiaire d’une délégation spéciale, sans demander, pour cette dernière démarche, une nouvelle résolution du Ministère. Quoiqu’il en soit, ce qui est bien positif, c’est que M. Olozaga, à la suite d’une lettre reçue d’un membre du Cabinet dont il est particulièrement l’ami, m’a déclaré, comme son opinion personnelle, que les dernières offres faites au prince de Hohenzollern n’ont pas été l’objet d’une décision du Conseil des Ministres.
Un certain nombre de personnes, connaissant les relations qui existent entre M. Olozaga et Prim, ne sont pas disposées à admettre que le premier n’ait rien su de tout ce qui se préparait. M. Olozaga lui-même m’a dit être dans de très bons termes avec le Maréchal Prim. Mais il m’avait donné si positivement l’assurance qu’il ignorait tout ce qui s’est fait dans les derniers temps, que je ne pense pas partager ces doutes. M. Olozaga m’a exprimé avec beaucoup de franchise et avec une certaine émotion combien il regrette la tournure que prennent les affaires de sa patrie, par suite de la démarche de Prim. Il m’a déclaré comprendre parfaitement que l’Empereur des Français, après l’effet déplorable produit en France par la bataille de Königgrätz, ne pourra pas consentir à ce qu’un prince prussien occupe le trône d’Espagne.
Les communications qui précèdent vous convaincront que la situation politique devient très sérieuse et que la paix de l’Europe peut se voir compromise d’une manière tout à fait inattendue. Tous les Français que j’ai eu l’occasion d’entretenir hier et aujourd’hui m’ont exprimé la même manière de voir que M. Olozaga.
Dans l’intérêt du maintien de la paix, on doit exprimer l’espoir que le Gouvernement Espagnol ne fermera pas l’oreille aux démarches de l’Angleterre, de l’Autriche et de l’Italie, dont j’ai fait mention plus haut.
Le baron de Werther est parti hier soir pour Ems, où se trouve le roi de Prusse. Il est venu me faire une visite hier à deux heures. Il a commencé par m’exprimer sa satisfaction [sur la manière dont j’avais traité la question du St Gothard vis-à-vis du Gouvernement français. Il a ajouté qu’il se rendait à Ems pour voir son souverain, et a soigneusement évité de s’exprimer sur la question espagnole, ce qui s’explique tout naturellement par la nature confidentielle de sa démarche auprès du roi Guillaume. Il m’a dit cependant qu’il venait de quitter M. Ollivier et qu’il l’avait trouvé dans des dispositions très pacifiques à l’égard de l’Allemagne. Avant de me quitter, M. de Werther est revenu sur la question du St Gothard, en exprimant le vif désir que le Gouvernement et le Parlement Italiens ne tardent pas plus longtemps à ratifier la Convention du 15 Octobre 1869.
Il me reste à ajouter en terminant que M. Olozaga s’est exprimé comme suit à la fin de notre entretien: «Les faits que je vous ai communiqués ne l’ont été encore à aucun de nos collègues; je les confie à votre amitié et à votre discrétion.» Vous trouverez donc fort naturel, Monsieur le Président, qu’en raison du vœu formulé par M. Olozaga, les communications qui précèdent soient considérées comme tout à fait confidentielles, afin de pouvoir recourir encore à l’avenir à la source précieuse de laquelle je les tiens.
Je me permettrai, avant de terminer ce rapport, d’ajouter encore un renseignement qui résulte de mon entretien avec l’ambassadeur d’Espagne, et qui est de nature à jeter un jour spécial sur le caractère du Maréchal Prim. M. Olozaga m’a dit que Prim avait une foule de bonnes qualités, mais qu’il ne se rendait nullement compte de l’importance des relations entre les Etats; qu’il n’avait jamais étudié le droit et la politique internationale. Préférant s’occuper de l’armée et des affaires intérieures, il ne lit pas même la partie des journaux consacrée aux nouvelles extérieures, et il ne veut surtout jamais rien entendre de ce qu’on appelle des considérations et des égards diplomatiques! C’est ce qui explique probablement, a ajouté M. Olozaga, que le Maréchal Prim ne se soit pas expliqué l’importance de sa démarche, et ne se soit pas rendu compte des graves éventualités qui pouvaient s’y rattacher. Je n’ai pu m’empêcher de répondre en riant à M. Olozaga: «Il ne faut cependant pas être diplomate, ni être grand lecteur d’articles de journaux pour pouvoir prévoir ce qui arrive actuellement.»
J’ai cru devoir ajouter encore ce détail sur la personnalité même du Maréchal Prim [...].
- 1
- E 2300 Paris 23.↩
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