Si je ne vous ai pas parlé plus tôt de l’élection de M. Ratazzi à la présidence de la Chambre, c’est que cette élection patronée par le Gouvernement n’a aucun caractère particulier.
C’est demain que la loi conférant à Victor-Emmanuel le titre de Roi d’Italie sera proposée à la Chambre des députés.
L’Angleterre reconnaîtra ce nouveau titre, si on le lui demande; et je crois savoir qu’on le demandera à l’Angleterre, à la Suisse et aux Etats-Unis d’Amérique, comme aux trois nations les mieux disposées pour la cause italienne. En tout cas, conformément à vos instructions,2 je réglerai ma conduite sur celle du Ministre de la Grande-Bretagne.
Jeudi, jour de naissance du Roi, nous dînons chez le Ministre.
Le toast officiel sera-t-il porté au Roi tout court, ou au Roi d’Italie? Grand émoi parmi ceux de mes collègues qui appartiennent au parti rétrograde.
M. de Cavour, que j’ai vu tout à l’heure, m’a répété qu’il croyait à la paix pour cette année. Il ne reculerait pas, m’a-t-il dit, devant la tâche, épineuse à mon sens, de gouverner l’Italie depuis Rome, avec le Pape siégeant aussi à Rome. Ceci est bien éloigné de sa manière de voir de l’été dernier. J’en conclus que l’événement est proche. Il faut, d’ici à peu de temps, vous attendre à voir les Français se retrancher autour du Vatican, et les Piémontais occuper le reste du patrimoine de Saint-Pierre. Les régiments destinés à ce service, sont, dit-on, déjà désignés.
Le Ministre continue à traiter de chimériques les projets d’annexion de la Suisse italienne. «Il est certain», me disait-il, «que les habitants de Poschiavo sont les plus déterminés des contrebandiers, et que bien des employés aimeraient en avoir, un jour, définitivement raison. Mais tout cela ne nous fera jamais rien tenter contre la Suisse. Si la carte de l’Europe était remaniée, si on donnait à la Suisse le Vorarlberg et le Tyrol, ce que je souhaite beaucoup pour l’Italie, si alors les Tessinois désiraient s’unir à nous, et si la Suisse y consentait, certes nous ne dirions pas non. Mais nous n’en sommes pas encore là.»
Je vous cite les paroles mêmes du Ministre, sans vouloir leur attribuer une portée décisive.