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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 26, doc. 191
volume linkZürich/Locarno/Genève 2018
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E-01#1987/78#2744* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)-01/1987/78 546 | |
Dossier title | Politische Bewegungen und Zustände im Ausland (1973–1975) | |
File reference archive | B.73.0 • Additional component: Spanien |
dodis.ch/39095 Notice interne du Département politique1 SITUATION EN ESPAGNE
À la tête de l’État espagnol, la passation des pouvoirs du Général Franco, décédé le 20 novembre dernier2, au Prince Juan-Carlos s’est effectuée dans le calme3. Les observateurs se demandent désormais à quel rythme et jusqu’à quel point le nouveau Roi – qui a prêté serment devant les Cortes le 22 novembre – pourra engager son pays sur la voie de l’ouverture vers la démocratie, appelée de leurs vœux non seulement par la majorité des Espagnols, mais aussi par les autres États d’Europe occidentale.
L’ampleur des problèmes qui attendent d’être résolus et la délimitation imprécise des pouvoirs du monarque dans la Constitution espagnole n’incitent qu’à un optimisme prudent. D’une part, le Roi devra réaliser l’impossible – se dégager du franquisme tout en apaisant la droite, remplir un vide d’autorité tout en étant libéral, être démocrate tout en résistant à certaines revendications. D’autre part, les complications et les subtilités – certainement voulues – de la Constitution ne permettent pas de déterminer si la souveraineté suprême est l’apanage de Juan-Carlos ou bien si elle est exercée conjointement par ce dernier et les Cortes. Il n’est pas non plus sûr qu’une libéralisation de la vie politique soit possible dans le cadre de la Constitution et des lois actuelles qui, par exemple, ne permettent ni n’interdisent clairement la constitution de partis politiques autres que le Movimiento.
L’absence de coudées franches du Roi, mais aussi sa volonté d’ouverture étaient toutes deux inscrites dans le discours qu’il a prononcé devant les Cortes après sa prestation de serment. Ce discours était savamment dosé afin de satisfaire à la fois l’aile droite et l’aile modérée du régime, c’est-àdire un éventail de forces allant de l’extrême-droite à la droite modérée et qui détiennent actuellement la totalité du pouvoir. Il confirmait, d’autre part, sous forme habilement déguisée, l’orientation libérale du monarque. Après avoir juré d’être «loyal aux principes qui inspirent le Mouvement national» et non plus, comme en 19694, lorsqu’il fut désigné comme successeur de Franco, «fidèle aux principes de base du Mouvement» (de façon à être moins étroitement lié à la Constitution actuelle), Juan-Carlos I er s’est engagé à «prêter l’oreille aux exigences de perfectionnement» des milieux réformateurs et libéraux, à les «canaliser», mais aussi à les «stimuler». Derrière l’engagement pris, vis-à-vis de l’Église, de «respecter les droits de la personne humaine» et derrière la confirmation résolue de l’appartenance européenne de l’Espagne, on décèle, semble-t-il, l’intention de faire entrer la démocratie en Espagne par une porte dérobée: par «respect des droits de la personne humaine», l’Église post-con ciliaire entend aussi – et l’a fait savoir à maintes reprises – la reconnaissance des droits de l’homme, tels que la liberté de former des syndicats et des associations politiques. Et les États européens n’ont jamais caché qu’une libéralisation et une démocratisation de la vie politique en Espagne constituent la condition préalable de tout rapprochement entre ce pays et leur communauté.
Le même double souci de ménager le pouvoir établi et de faire patienter l’opposition semble avoir inspiré le décret de «grâce générale», accordée par Juan-Carlos 1er, à l’occasion de son accession au trône, aux prisonniers de droit commun et à ceux des détenus qui ont été condamnés pour des délits politiques non accompagnés de violence. Ce décret exclut du bénéfice de la clémence royale les condamnés au titre du décret-loi anti-terroriste du 27 août dernier, mais il est possible que les normes d’application qui seront promulguées à l’intention des tribunaux lui confèrent une portée plus large5.
L’opposition «illégale» de gauche (qui se compose essentiellement de deux groupes, la Junte démocratique dominée par le Parti communiste espagnol et la Plate-forme de convergence au sein de laquelle le Parti socialiste ouvrier espagnol donne le ton) a réagi négativement au discours de Juan-Carlos, qualifié de discours «continuiste», et n’a pas caché sa déception devant l’absence d’amnistie générale. Le maintien de la trêve politique et l’acceptation conditionnelle du fait monarchique par le PCE ainsi que par les socialistes et les chrétiens-sociaux (demandant que l’accession de Juan-Carlos au trône d’Espagne soit validée par un vote populaire) paraissent toutefois indiquer que la gauche est, pour le moment, résolue à modérer ses revendications et à accorder au nouveau Roi un délai de grâce.
La désignation, lundi dernier, d’une personnalité modérée du centre, Fernandez Miranda, au poste clef de président des Cortes et du Conseil du Royaume (l’ancien président, Rodriguez de Valcarcel, appartenait au «bunker» des ultras), ainsi que l’élargissement, mardi, de la grâce royale aux étudiants et enseignants universitaires condamnés à des peines disciplinaires, qui montrent que Juan-Carlos a déjà consolidé sa position aux dépens des ultras et particulièrement des phalangistes, devraient d’ailleurs faire patienter la gauche.
Juan-Carlos peut également compter d’emblée, à l’extérieur, sur l’appui des États-Unis et de la majorité des États européens.
- 2
- Cf. la notice de L. Maag du 28 novembre 1975, dodis.ch/39098.↩
- 3
- Sur la transition démocratique en Espagne, cf. le rapport politique No 10 de A. Parodi à P. Graber du 26 juin 1974, dodis.ch/39116; le rapport politique No 24 de A. Parodi à P. Graber du 18 décembre 1974, dodis.ch/39114; le rapport politique No 4 de S. F. Campiche au Département politique du 4 mars 1975, dodis.ch/39115; la notice de H. Cuennet du 7 juillet 1975, dodis.ch/39118 et la notice de S. F. Campiche du 17 décembre 1975, dodis.ch/39097.↩
- 4
- Cf. le rapport politique No 8 de R. Maurice à W. Spühler du 23 juillet 1969, dodis.ch/32236.↩
- 5
- Cf. le rapport politique No 31 de S. F. Campiche à P. Graber du 10 décembre 1975, dodis.ch/39113.↩