Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 11
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2800#1967/59#1177* | |
Old classification | CH-BAR E 2800(-)1967/59 96 | |
Dossier title | Zehnder Alfred (1948–1961) | |
File reference archive | 44.133 |
dodis.ch/14421
En quittant Khrouchtchev, après l’entretien que je vous ai rapporté par mon rapport No 242, j’ai côtoyé Mikoyan auquel Aroutiounian venait de montrer une coupure de presse. «Ah, vous voilà!» a dit Mikoyan. «Nous sommes en train de lire une nouvelle grave vous concernant». C’était le communiqué de Reuter annonçant la décision du Conseil fédéral de doter l’armée suisse d’armements atomiques3.
Et Mikoyan de critiquer avec violence cette décision. «C’est la fin de la neutralité suisse! Nous avons aimé la Suisse pacifique et neutre, mais quelle déception de voir le Conseil fédéral arrêter une mesure qui ne plaira à personne. C’est sans doute pour faire plaisir aux seuls Américains.
Contre qui seront dirigées ces armes? Vous ne me convaincrez pas en disant que vous devez protéger votre pays contre une agression française, allemande, italienne ou autrichienne ou enfin contre une armée d’invasion américaine ou britannique. A lire votre presse, c’est pour défendre la Suisse contre une agression des armées soviétiques. Et bien, Monsieur, je vous le déclare au nom du n’avons aucune envie de faire la guerre à qui que ce soit. Nous ne voulons que la paix et voilà la Suisse qui, par cette décision, signifie au monde entier qu’elle ne nous croit pas. C’est fort.»
J’ai essayé de le calmer en disant qu’il attaque mon gouvernement en se basant sur un communiqué d’une agence de presse étrangère. Pour autant que je le sache, le Conseil fédéral a décidé de charger le Département militaire d’étudier la question de la dotation de l’armée suisse d’armes atomiques. C’est une question très importante pour nous, car nous n’avons pas d’armée de métier. Or l’esprit combatif d’une armée de milice dépend de la conviction de chaque soldat d’être muni d’armements efficaces, au moins égaux à ceux d’un adversaire potentiel. «Vous n’y croyez pas vous même», s’est écrié Mikoyan. «C’est sous la pression des Américains que le Conseil fédéral a pris sa décision.
D’ailleurs, cette décision n’aurait aucun sens si le Conseil fédéral n’était pas assuré de recevoir l’armement atomique des Américains.» Moi aussi, je me suis alors fâché. En élevant la voix, j’ai dit à Mikoyan que je connaissais suffisamment bien les conseillers fédéraux pour affirmer ici que mon Gouvernement agit toujours en toute indépendance et que s’il a pris une pareille décision c’est qu’elle s’imposait objectivement. Alors Mikoyan a changé de ton. En ricanant, il m’a dit: «Je vous propose un marché. Achetez les armements atomiques chez nous contre des francs suisses librement disponibles. Comme nous proposerons prochainement aux puissances occidentales de détruire les stocks de bombes thermonucléaires, je ferais une excellente affaire en les vendant à la Suisse. Vous aurez votre armement que vous serez obligés de détruire par la suite et moi j’aurais quelques centaines de millions de francs suisses librement convertibles.
Je lève mon verre à la réussite de cette excellente affaire!»
Il est clair que j’ai refusé de m’associer à une blague pareille d’autant plus que d’autres Ambassadeurs s’étaient joints à notre groupe. «Mais je suis prêt» ai-je dit, «à boire à la réussite des négociations internationales concernant la destruction de tous les stocks d’armes thermonucléaires, atomiques et d’engins téléguidés.» Tout le monde a levé le verre, y compris les Ambassadeurs des grandes puissances ainsi que Mikoyan et Aroutiounian.
Je vous ai relaté cette conversation en détails parce que, ainsi que je viens de l’apprendre, certains de mes collègues présents à la fin de la conversation ont fait télégraphiquement rapport à leur Gouvernement sur cet entretien. Pour
être complet, il faudrait encore ajouter la remarque de Mikoyan qu’il regrettait maintenant la formule suggérée par lui à Raab de prendre la neutralité suisse comme modèle de la neutralité autrichienne.
A l’avis de mes collègues, notamment de Sir Patrik Reilly, Mikoyan a essayé de m’intimider. Voyant que cette méthode ne prenait pas, il a essayé de ridiculiser les mesures envisagées par le Conseil fédéral.
Jusqu’à quel point faut-il prendre au sérieux cette réaction d’un homme d’Etat soviétique qui occupe une position très importante dans la hiérarchie soviétique? Il est clair que les Russes désireux de réduire les conversations sur le désarmement à un minimum de grandes puissances, si possible à un tête-àtête entre eux et les Américains, ne voient pas d’un bon œil la tendance des petits pays de doter leurs armées d’armements thermonucléaires ou atomiques, tactiques ou stratégiques. Enfin la décision suisse risque, aux yeux des dirigeants soviétiques, de peser sur celle de Bonn.
J’ai l’impression que tous les dirigeants soviétiques réagiront comme a réagi
Mikoyan. Ce qui est nouveau et inquiétant, c’est que la neutralité suisse est mise en doute. C’est, en effet, pour la première fois depuis que je suis à Moscou qu’un des dirigeants soviétiques ait omis de lever le verre à la Suisse pacifique et neutre. Quoi que l’on pense de Mikoyan, intelligent et sans scrupules, l’impression reste qu’un doute subsistera à Moscou au sujet de notre politique de neutralité. Le Ministère des Affaires étrangères sortira maintenant notre dossier, en veilleuse depuis des années, pour voir si la Suisse ne s’engage pas dans une alliance avec les Occidentaux. Notre presse sera lue plus attentivement que jusqu’à présent.
- 1
- Lettre: E 2800(-)1967/59/96.↩
- 2
- Cf. le rapport politique No 24 de A. Zehnder à M. Petitpierre du 14 juillet 1958, E 2300(-) 1000/716/289.↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 21, doc. 10, doc. 72 et doc. 73.↩
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Neutrality policy Russia (General) Question of nuclear weapons