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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 94
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#795* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 352 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 110 (1956–1956) |
dodis.ch/12435
Prodromes de crise intérieure
Depuis 10 mois, c’est-à-dire depuis la formation du Gouvernement Guy Mollet, la politique intérieure avait miraculeusement opéré une sorte de repliement sur elle-même, en France.
Le Gouvernement avait pu passer à l’action d’abord sur le plan social (retraite des vieux, etc., mesures fiscales); politique algérienne ferme, en multipliant les moyens militaires; finalement, dès le 26 juillet politique de patience et d’attente dans la crise de Suez jusqu’à l’opération anglo-franco-égyptienne [israélienne déclenchée le 29 octobre2.
A travers toutes ces périodes difficiles, le Gouvernement socialiste a bénéficié, à un degré rare en France, en période troublée, de l’appui de tous les partis non communistes; à la seule exception de MM. Mendès-France et Pierre Poujade, ainsi que des plus fidèles soutiens de ceux-ci. Tout prouve désormais qu’on est à la veille de certains remous en politique intérieure. Le Gouvernement est entré, depuis le mauvais sort attaché à l’opération militaire d’Egypte, dans la «phase d’usure».
Cette phase finale, survenue, dans le cas de M. Guy Mollet, plus tard que d’habitude, trouve le Président du Conseil dans un état de lassitude physique certaine, comme je vous l’ai fait savoir dans mon rapport No 109 du 23 novembre 19563, mais dans un état d’esprit combatif.
Homme de cœur et homme d’idéal, le Président du Conseil a été, d’abord, déçu par l’attitude américaine dans les derniers mois. Il y eut d’abord les replis diplomatiques successifs de M. Foster Dulles, aux différentes conférences de Londres, qui n’ont servi qu’à faire perdre du temps. Il y eut ensuite les documents trouvés dans les bagages des cinq leaders des fellaghas arraisonnés avec leur avion4. La principale surprise contenue dans les documents captés réside dans la preuve que des compagnies pétrolières américaines finançaient le mouvement du FLN contre une promesse de concession future dans le sud algérien. Ceci, pour les milieux industriels. D’autre part, le chef de la Fédération mondiale des syndicats libres, Irving Brown, faisait parvenir aux fellaghas des subsides, et leur prodiguait des conseils quant à leur action internationale.
Dans les jours qui ont suivi la capture des Algériens, l’Ambassadeur des USA s’est prodigué personnellement dans les rédactions des journaux parisiens, afin que rien ne transpire notamment sur la collusion entre intérêts pétroliers américains et rebelles algériens. L’action de M. Irwing Brown par contre, était déjà connue.
L’intervention américaine serait pour beaucoup également, dans le «lâchage» prématuré, par Londres, de l’allié français, qui a empêché de poursuivre l’opération militaire pendant les quelques heures qui auraient suffi pour donner à l’objectif sa raison d’être, à savoir tenir au moins solidement le canal.
D’après les renseignements que communique l’Ambassadede France à Washington, malgré tout ce qui se passe dans les pays satellites, le problème de la guerre froide serait passé au deuxième rang des préoccupations américaines. Celles-ci accorderaient plus d’importance «à la guerre des Jaunes», c’est-à-dire à l’attitude des pays de Bandoeng, qui ont trouvé en l’Assemblée des Nations Unies un organe d’expression pouvant être utilisé pour des opérations politiques. D’après le Quai d’Orsay, les événements récents ont d’ailleurs montré que l’Assemblée n’est efficace que pour couvrir des objectifs afro-asiatiques.
Dans l’esprit de Washington, l’OTAN ne serait plus qu’un pacte régional, valant pour la seule défense de la ligne de l’Elbe, qu’on ne considère d’ailleurs pas comme sérieusement menacée. La participation des USA à l’OTAN et au SHAPE ne saurait être déterminante pour la position extrêmement favorable dans laquelle Washington croit être placée depuis l’action anglofranco-israélienne, d’arbitre entre le Occidentaux et l’univers de Bandoeng. Par cette position confortable, la Maison Blanche croit avoir finalement surmonté le complexe anti-américain des Afro-asiatiques. Washington ne renoncera pas de sitôt à la satisfaction d’avoir ravi à d’autres ce qu’elle croit être la position de «leader» des pays non engagés.
C’est pourquoi on s’attend à Paris, notamment à de nouvelles et graves déceptions, lorsque le Conseil atlantique, au niveau ministériel, devra discuter à Paris, vers la mi-décembre, les plans échafaudés avec fracas, en mai dernier, tendant à harmoniser la politique extérieure des pays membres de l’OTAN, notamment dans les régions «extra-européennes». Il est clair qu’un tel objectif est non seulement plus éloigné que jamais, mais est surtout contraire aux nouvelles directives de la politique extra-européenne des USA.
A cela s’ajoutent les réticences américaines à pourvoir au ravitaillement de l’Europe en combustibles, frappant, par là, non pas les seuls pays qui auraient commis des erreurs en Egypte. L’esprit du plan Marshall est donc enterré, en même temps que celui de l’OTAN.
Ces déceptions, dans le domaine de la politique étrangère, seront, ces prochains jours, encore plus cuisantes lorsque l’Assemblée des Nations Unies, à une majorité écrasante, prescrira à la France la conduite a suivre dans l’affaire algérienne – considérée ici comme une affaire intérieure. Elles ne menacent pas encore l’existence du Gouvernement. Au contraire. Une intrusion trop massive dans l’affaire d’Algérie aurait pour effet de fortifier une réaction nationale, qui resserre, autour du Gouvernement, les rangs de tous les partis non communistes, à l’exception de quelques leaders dissidents.
Par contre, un régime plus sévère de rationnement d’essence, des réductions dans les heures de travail dans l’industrie automobile et dans d’autres secteurs (faute d’énergie) compromettraient sérieusement la survie du Gouvernement. Si le standard de vie, ou le rythme de l’expansion économique, se trouvaient atteints, la population estimerait qu’elle paye trop chèrement les conséquences d’une mauvaise politique dans l’affaire d’Egypte. Elle voudrait, dès lors changer l’équipe au pouvoir pour amorcer un redressement de la position française.
On estime même que c’est là un but précis de l’action américaine, voulant amener la chute du Gouvernement coupable d’une action colonialiste poursuivie à l’insu de Washington. Il paraîtrait à tout le moins que le Président du conseil lui-même soupçonnerait les Américains de ne pas faciliter le ravitaillement de l’Europe en essence, aussi longtemps que son Gouvernement n’aurait pas fait place à une équipe qui ne se serait pas sali les mains dans l’affaire égyptienne.
Si donc, à la base, la population ne critique pas l’équipe au pouvoir, et voue son ressentiment au Colonel Nasser, aux USA, et à l’URSS, par contre, certains leaders sont plus ou moins impatients d’effectuer un retour sur la scène politique.
Un retour au pouvoir de M. Mendès-France ne semble guère probable, aussi longtemps que M. Guy Mollet aura gardé son emprise sur la majorité des fédérations départementales de son parti. La minorité socialiste favorable à M. Mendès-France ne saurait entrer dans un gouvernement mendésien, contre l’avis de la majorité de la SFIO.
Les MRP ne veulent rien savoir d’un gouvernement mendésien. Ils n’oublient pas que, récemment encore des députés proches de l’ancien Président du conseil ont remis en cause le compromis de 1952 sur les écoles confessionnelles. Le soutien passif des 145 voix communistes pourrait être acquis à M. Mendès-France. Mais ce serait un soutien écrasant. Ce sont donc plutôt d’autres leaders, s’estimant «bien avec les Américains», qui voudraient remonter à la surface, à savoir M. Antoine Pinay, ou M. Pleven, chef de la petite fraction UDSR.
Il ne s’agit, bien entendu, pour l’instant, pas de prendre date. Ce ne sont là que les premiers signes avant coureurs d’une crise qui se situera, vraisemblablement au début de l’année prochaine, dans la deuxième quinzaine de janvier. La situation économique sera devenue problématique; le sursaut national aura fait place à l’amertume sur les conséquences économiques à long terme de l’équipée de Suez.
On parle de projets tendant à accorder unilatéralement l’autonomie aux communes algériennes, et une large place à des fonctionnaires musulmans dans l’administration. Il s’agit de nouvelles étapes vers une politique libérale «octroyée» par le Gouvernement à l’Algérie, à un moment où, à l’ombre des baïonnettes, la paix semble régner sur l’ensemble des territoires algériens. En effet, l’élan des fellaghas semble localement brisé. Reste à voir si une œuvre constructive peut être faite sans cet interlocuteur représentatif du côté algérien, qui continue à s’esquiver, les modérés étant terrorisés par les extrémistes, avec ce fanatisme qui semble être le facteur dominant dans les pays musulmans.
- 1
- E 2300(-)-/9001/352.↩
- 2
- Sur ces événements, cf. DDS, vol. 20, doc. 76, doc. 77, doc. 83 et doc. 88.↩
- 3
- Non reproduit.↩
- 4
- Il s’agit de l’arraisonnement d’un avion marocain par l’armée française, le 22 octobre 1956, qui amenait à Tunis des dirigeants nationalistes algériens, le contraignant à se poser sur l’aérodrome de Maison-Blanche, près d’Alger. A. Ben Bella, M. Khider, H. Aït Ahmed, M. Boudiaf, M. Lacheraf sont arrêtés. Voir également le rapport politique No 96 de P. Micheli à M. Petitpierre du 26 octobre 1956, E 2300(-)-/9001/352 (dodis.ch/12895) ainsi que le DDS, vol. 20, doc. 95.↩
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Colonization and Decolonization Suez Crisis (1956)