Classement thématique série 1848–1945:
7. ATTITUDE DE LA SUISSE À L’ÉGARD DES JUIFS
7.2. ATTITUDE DE LA SUISSE FACE AUX PERSÉCUTIONS ANTISÉMITES
7.2.2. ROUMANIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 128
volume linkBern 1997
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2200.15-02#1000/216#30* | |
Dossier title | Politique roumaine. Affaires juives 1941 (1941–1941) | |
File reference archive | IV-A-7 |
dodis.ch/47314
Le Ministre de Suisse à Bucarest, R. de Week, au Membre du Comité International de la Croix-Rouge, J. Chenevière1
Mon cher Ami,
Vous n’ignorez certainement pas que, depuis assez longtemps déjà et, plus particulièrement, depuis l’entrée en guerre de la Roumanie contre l’URSS2, les Juifs du royaume danubien sont soumis à une persécution systématique, auprès de laquelle les massacres d’Arménie, qui indignaient la conscience européenne à l’aube de notre siècle, semblent des jeux d’enfants.
Je n’entrerai pas ici dans le détail des faits: spoliations de toute nature, violences inhumaines, déportations, exécutions et massacres. J’en tiens notre gouvernement aussi exactement informé qu’il m’est possible, mais je ne puis guère espérer, dans les circonstances actuelles, qu’il élève une protestation officielle.
C’est à titre tout à fait privé, d’homme à homme, que je m’adresse à vous. Je voudrais que, tout en évitant de me mettre en cause, vous examiniez ce que le Comité International de la Croix-Rouge pourrait entreprendre, sans sortir de son domaine, pour atténuer, au moins dans une certaine mesure, les souffrances des victimes.
Je me bornerai à un ordre de faits très limité, dans lequel une intervention du Comité me paraît possible et souhaitable.
Voici ce dont il s’agit:
Avant l’entrée en vigueur de la législation antisémite3, la communauté juive de Bucarest disposait d’un grand hôpital de 160 lits, avec toutes les installations nécessaires, possédant des services de consultation pour toutes les spécialités, et d’un hôpital de 30 lits pour enfants.
Pendant l’année budgétaire 1939-1940, 2538 malades furent traités dans ces hôpitaux (1993 juifs et 545 «aryens»). Le nombre des consultations pour la même période s’est élevé à 33 355 (26082 à des Juifs, 7273 à des non-Juifs).
Une loi d’«organisation sanitaire» de novembre 1940, interdit aux médecins juifs de soigner des malades chrétiens et aux hôpitaux non-juifs de recevoir des Juifs.
La première loi expropriant les immeubles urbains appartenant à des Juifs avait laissé à leurs communautés et associations la propriété des hôpitaux qu’elles possédaient. Un récent décret-loi permet à un organisme spécial appelé «centre de roumanisation» d’exproprier au profit de l’Etat, quand il le veut, comme il le veut et sans recours possible, les hôpitaux et maisons de santé appartenant à des communautés, associations et personnes physiques d’origine juive.
Dès le commencement de la guerre contre l’URSS (juin 1941), soit avant la promulgation du décret-loi mentionné ci-dessus, le grand hôpital juif de Bucarest avait été réquisitionné par l’armée (ainsi que toute une série d’écoles, orphelinats, etc.). Actuellement, la population juive de la capitale (environ 100000 âmes) ne dispose plus que du petit hôpital de 30 lits, lequel peut être exproprié du jour au lendemain.
Faute de données précises, je ne vous dis rien de l’état sanitaire des populations juives dans le reste du pays et particulièrement de celles que l’on a déportées en Transnistrie4: ce qui se raconte à ce sujet dépasse l’imagination.
Et maintenant, que peut-on faire?
L’envoi en Roumanie d’un délégué spécial du CICR, à qui l’on donnerait officiellement une mission autre que celle de s’intéresser spécialement aux Juifs (précaution nécessaire pour qu’il obtienne ses visas de passeport), serait certainement la mesure la plus efficace. Le prestige de la «Croix de Genève», comme on dit ici, est assez grand pour que votre mandataire, une fois sur place, soit autorisé à recueillir toutes informations et à donner tous avis utiles. Il va sans dire que je l’y aiderais. Le gouvernement ne pourrait pas ne pas tenir compte de ses recommandations, qui, pour tous les Roumains, exprimeraient les vues d’un organisme international respecté, impartial et compétent. Des milliers de vies menacées seraient ainsi sauvées. Le président de la Société Roumaine de la Croix-Rouge, qui est un de mes amis, ne refuserait pas son concours.
J’ajoute que l’envoi d’un délégué pourrait être officiellement motivé par d’autres tâches dont l’utilité et l’importance sont d’ailleurs évidentes, telles que: lutte contre les épidémies, assistance aux réfugiés polonais, visites aux prisonniers de guerre, etc. Une décision rapide serait éminemment désirable.
Si elle ne pouvait pas être prise à très bref délai, il faudrait du moins que le Comité, se fondant sur les informations qui précèdent et sans en révéler l’origine, me demande de remettre en son nom tant à la Croix-Rouge Roumaine qu’au Ministère des Affaires étrangères des notes tendant à obtenir qu’un minimum de garanties soit accordé aux Juifs de Roumanie en matière d’assistance médicale et d’établissements hospitaliers.
Tags
German Realm (General) Romania (General) Relations with the ICRC Attitudes in relation to persecutions