Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 147
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#941* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 411 | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 65 (1958–1958) |
dodis.ch/11538 TUNISIE – AFRIQUE DU NORD
Mon premier collaborateur2 vient d’avoir différents entretiens au Palazzo Chigi au sujet des récents événements d’Afriquedu Nord. Il m’a fait la relation que j’ai l’honneur de vous transcrire ci-après:
«1. Tunisie
Les milieux officiels et privés faisant chorus avec la presse condamnèrent sévèrement le bombardement de Sakiet3. Très rapidement «l’erreur politique» et les conséquences qu’elle comportait prirent le pas sur l’opération militaire flétrie au début. L’Italie, première puissance méditerranéenne dont les côtes orientales sont dans la zone d’action primaire de Bizerte, est sensible à tout ce qui peut modifier l’équilibre des forces et des rapports en Tunisie, pays dans lequel elle compte une émigration importante de vieille souche, des sympathies et des intérêts qu’il faut sauvegarder.
L’affaire de Sakiet étant d’importance, le Ministre des Affaires étrangères4 l’a prise personnellement en mains, convoquant le Chargé d’Affaires de France a. i., entendant l’Ambassadeur de Tunisie et l’Ambassadeur du Maroc. On sait peu de chose sur ce qui fut dit au premier; vraisemblablement très peu, on en comprendra plus loin la raison. L’Ambassadeur de Tunisie, en revanche, se vit offrir spontanément les condoléances du Gouvernement et fut gratifié de sentiments de sympathie, peut-être sincères, mais qui n’affectaient toutefois aucunement l’attitude de l’Italie quant au fond de la question.
La tension entre Paris et Tunis ne semble, en effet, pas inquiéter l’Italie en ce qui concerne la situation de ses ressortissants en Tunisie, elle ne risque pas non plus d’entraver le développement normal des échanges et des relations italo-tunisiens. Les sentiments de sympathie à l’égard de Tunis n’hypothèquent pas les relations et les intérêts beaucoup plus importants qui unissent l’Italie à la France. La contradiction est donc flagrante, puisque, tout en condamnant le bombardement de Sakiet et surtout par lui une politique française engendrée dans le désordre des idées et dans l’absence de moyens de coordination et dont les résultats menacent chaque jour davantage l’équilibre des forces et risquent de conduire aux pires excès, Rome assure pourtant inconditionnellement Paris de son appui, cherchant avant tout à ne pas donner à une opinion publique française très sensible et nerveuse de nouvelles raisons de raidissement et aux «extrémistes» des arguments dangereux.
Hors des débats, l’Italie a gardé son sang-froid. Sa presse même, protunisienne pendant les quarante-huit heures qui suivirent l’incident, a opéré une volte-face en relevant que la Tunisie, base de départ et place de recueil du FLN, a tout fait pour s’attirer une sévère leçon. L’argument de Bourguiba de ne pas avoir assez d’armes pour défendre ses frontières ne leurre personne à Rome où l’on est persuadé qu’il n’y a pas de raison commune entre la défense du territoire et les complaisances en matière de ravitaillement et d’instruction de troupes en guerre contre la France. Nier les faits serait nier l’évidence. La Tunisie s’est mise en état de belligérance, on me l’a souligné.
Soucieuse donc de ménager avant tout son premier partenaire atlantique, l’Italie appuie la France, même si elle lui reproche de conduire une politique peu réaliste. Elle a vu d’un mauvais œil le recours à l’ONU, recours qui ne pourrait qu’internationaliser le problème, ce que l’on voudrait éviter.
Certaines personnes au Palazzo Chigi pensent, en outre, que Bourguiba a perdu de son autorité depuis un an et qu’il ne contrôle plus entièrement le développement de certaines situations.
L’Italie prenant de plus en plus conscience de son redressement (sa lire est ferme, son Gouvernement stable, les conflits sociaux peu nombreux, son industrie en plein essor) et du rôle géographique qui est le sien face à la Méditerranée et dos à une Yougoslavie à la politique de bascule, on ne m’a pas caché au Palazzo Chigi qu’il y a quatre ans déjà on aurait souhaité un dialogue franc entre Paris et Rome au sujet de l’Afriquedu Nord. Mes interlocuteurs, en effet, estiment que la France conduit une politique surannée, que la loi-cadre est insuffisante et qu’il faut envisager le problème de l’Afriquedu Nord dans son ensemble, sans vouloir constamment nier l’évolution des idées et freiner les poussées nationalistes. Sans esprit de conquête ou de revanche, l’Italie estime qu’elle serait bien placée pour amorcer ce dialogue et mettre ainsi en garde les Français.
On condamne en termes assez sévères l’instabilité et les désordres intérieurs français, un de mes interlocuteurs alla même jusqu’à dire que trop de milieux français extrémistes ont encore des idées colonialistes dépassées depuis trente ans. Les conséquences de cette politique ou de cette absence de politique en Afrique du Nord inquiètent donc les personnes que j’ai rencontrées. On fait tout, m’a-t-on répété, pour renforcer les positions de Nasser et pour faciliter l’infiltration soviétique en Afrique du Nord. On sait à qui profitent les faiblesses, les divergences de vues et les atermoiements occidentaux.
Les eaux albanaises, en outre, étant déjà infestées de sous-marins soviétiques, la solution qui doit intervenir pour la base de Bizerte est des plus importantes pour l’Italie.
3. Impression générale
J’ai eu une nouvelle fois l’impression que toute décision italienne est subordonnée à l’accord des membres de la NATO. C’est ainsi, par exemple, qu l’on m’a confirmé que Nasser, il y a deux ans, avait demandé des armes à l’Italie. Des divergences de vues s’étant produites à ce sujet à la NATO, le temps passa et Nasser s’adressa ailleurs. La reconnaissance également de la Chine communiste, souhaitée par certains milieux industriels et officiels italiens, n’a pas pu avoir lieu, faute de l’agrément de la NATO et particulièrement des USA en l’occurrence. La décision italienne récente de reconnaître l’Union arabe, elle aussi, ne prendra effet qu’avec l’accord de ses partenaires.
Les quatre lettres de la NATO semblent briller dans tous les bureaux du Palazzo Chigi; c’est par leur invocation que se terminent la plupart des réponses. On me l’a redit hier encore, les pierres angulaires de la politique italienne s’appellent NATO – ONU – Europe des Six et Euratom.»
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Tunesia (General) Colonization and Decolonization