Dans les cercles diplomatiques se manifestent trois thèses différentes quant à l'interprétation de la nouvelle politique soviétique : 1) Rien n'a changé. 2) C'est des changements tactiques pour des raisons internes. 3) C'est une sorte de révolution.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 67
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2802#1967/78#200* | |
Old classification | CH-BAR E 2802(-)1967/78 5 | |
Dossier title | Politische Beziehungen (1947–1956) | |
File reference archive | D.1 |
dodis.ch/11155 Notice interne du Département politique1
Dans les conversations avec les diplomates, j’ai rencontré trois thèses différentes concernant la nouvelle politique russe2.
1 re thèse. Rien n’est changé. Il s’agit d’une nouvelle tactique soviétique à l’effet de renforcer en Occident la tendance neutraliste. Il faut donc continuer à resserrer les rangs dans le cadre de l’Allianceatlantique et de rendre l’OTAN militairement encore plus fort. C’est le seul langage, le langage de la force que l’URSS comprend. Donc pas de faille, pas de neutralisme.
La preuve qu’il ne s’agit pas d’un changement d’idées mais uniquement d’un changement de tactique est fournie par l’obéissance aveugle des partis communistes nationaux aux directives de Moscou. Le régime collectif est au même degré infaillible que le régime dictatorial de Staline. Le new look est donc réversible. La plus grande méfiance s’impose à l’égard de celui-ci qui n’est qu’une nouvelle forme de guerre souple sur le plan extérieur.
2 me thèse. La politique du parti communiste a subi une certaine modification tactique pour des raisons intérieures. En effet, le régime collectif n’est pas suffisamment assis. Des tiraillements entre les satrapes se font sentir, et il est dans l’intérêt de chacun d’eux et de toute la bande de pourvoir à ce qu’aucun ne puisse se servir de l’appareil judiciaire et policier pour liquider les concurrents. Logiquement, on a donc affaibli cet appareil qui, ne fonctionnant plus comme à l’époque de la dictature de Staline, ne présente plus un instrument dangereux dans les mains de l’un des satrapes. Le peuple russe n’y est pour rien.
Tant que les luttes intestines durent au sein du gouvernement soviétique, l’URSS ne veut pas de guerre, ni générale ni localisée. La politique extérieure n’est donc que la résultante de l’état de choses à Moscou.
L’Occident doit dans ces circonstances continuer sa politique de main forte.
3 me thèse. La nouvelle politique soviétique est une évolution ou même une révolution. Le parti n’a pas agi par fantaisie ou pour des raisons de politique extérieure, mais il se trouve coincé par la jeune génération qui demande et un allègement du régime policier et des meilleures conditions de vie. Le mécontentement a été suffisamment fort et répandu pour obliger le parti à revoir sa politique et à l’adapter aux circonstances nouvelles. Cette nouvelle politique n’est donc pas une nouvelle tactique, mais une nouvelle attitude et encore irréversible [sic]. La politique extérieure de coexistence pacifique n’est que le résultat de la politique intérieure nouvelle.
Quelle attitude l’Occident devrait-il prendre à l’égard de cette nouvelle politique russe?
1) Si l’on mettait trop l’accent sur les forces militaires, on risquerait de fournir des arguments à tous ceux en Russie qui ont encore la nostalgie de la Guerre froide.
2) Si l’on opposait aux Russes une politique de souplesse de l’Occident, on renforcerait la tendance aux réformes en Russie même et notamment dans les pays satellites. Malheureusement l’Occident lui-même est vulnérable et court donc le risque d’une désagrégation des alliances (OTAN, MEDO, SEATO) s’il s’engageait résolument dans cette voie.
Il vous intéressera d’apprendre que vendredi le Ministre de Pologne3, à l’occasion d’une visite pour toute autre chose, m’a tenu le langage suivant.
Le changement en Russie est tellement profond qu’il menace les régimes communistes encore mal assis dans les pays satellites, notamment en Pologne. Il est effrayant de voir le courage avec lequel le gouvernement polonais est attaqué et au sein du parti et au parlement. Ochab4 a dû rendre Moscou attentive à ce danger, mais il n’a pas reçu de réponse. A Varsovie on a ouvert les prisons, mais on y jette des gens qui étaient «mes amis et collègues dans la résistance». C’est dangereux parce qu’on ne peut pas aller aussi loin et tromper le peuple si l’on ne désire pas rendre le new look durable. C’est donc faux de parler de changement de tactique ou d’une nouvelle politique passagère et réversible. Elle est irréversible et peut éveiller des appétits des mécontents. Si Moscou cédait, les satellites seraient amenés à aller dans la voie de la liberté individuelle encore plus loin. «Avez-vous lu», a-t-il conclu, «ce que Putrament5 et Psybos6 ont écrit7? C’est presqu’une révolution!
- 1
- E 2802(-)1967/78/5. Cette notice a été rédigée par A. Zehnder et adressée à A. Natural.↩
- 2
- Cette analyse trouve son reflet dans la discussion du Conseil fédéral au début du mois de juin au sujet de l’invitation russe à des journalistes suisses. Cf. le PVCF No 913 du 1 juin 1956, E 1004.1(-)-/1/590 (dodis.ch/11038), la proposition du DPF du 16 avril 1956, E 1004. 1(-)-/1/590 (dodis.ch/11039), le rapport-joint du DFJP du 30 avril 1956, E 1004.1(-)-/1/590 (dodis.ch/11040) et le rapport du DPF du 25 mai 1956, E 1004.1(-)-/1/590 (dodis.ch/11041).↩
- 5
- J. Putrament, secrétaire général de l’association des écrivains polonais (ZLP), ancien Ministre de Pologne en Suisse.↩
- 6
- Il s’agit très vraisemblablement de J. Przybos, écrivain polonais et successeur de J. Putrament à Berne.↩
- 7
- Textes non retrouvés.↩